mercredi 10 mars 2010

Lille : Les secrets révélés des plats à barbe de la rue de la Monnaie

Le propriétaire voudrait recréer une maison du XVIIIe dans la bâtisse et y installer un traiteur.
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Comment, prévenu de la réhabilitation d'une maison chenue du Vieux-Lille, on s'est retrouvé embarqué par un passionné sur la piste d'un barbier du XVIIIe siècle.
PAR SÉBASTIEN BERGÈS
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Cela commence par une devinette, au coin des rues au Péterinck et de la Monnaie. « Ça vous rappelle quelque chose ? » Gautier Bonduel, dans le rôle du père Fouras, désigne deux formes peintes, voilées par les ans, répétées le long de la colonne de grès de la bâtisse. L'une est une fleur de lys. Mais l'autre... Une roue ? Une lune ? «Un plat à barbe», révèle notre mister Mystère. Un ustensile banal ?
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Associé à la date de construction de la maison, 1726, il a pourtant lancé Gautier Bonduel dans un haletant jeu de piste enjambant trois siècles.
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Été 2009. Le restaurateur (dans la nourriture, pas dans le patrimoine) sirote un verre en terrasse, rue de la Monnaie. Il observe son bien, cette bâtisse d'angle enlevée aux enchères le 1er avril. C'est là qu'il remarque les dessins sur la façade. Ces plats à barbe. «C'est tracé naïvement, en noir et blanc, car les couleurs étaient chères. Ce sont les peintures d'origine, de 1726. C'était la maison d'un barbier. Je me suis mis en quête de son identité.» L'homme est amateur d'art mais n'a rien d'un exégète de l'histoire locale. N'importe. Il se met à renouer les fils de l'histoire, foi de charbonnier et patience du généalogiste. «Je suis remonté d'acte de propriété en acte de propriété, au cadastre de Lille, puis au cadastre d'Arras. Puis, avant 1876, aux archives départementales.» Mais la piste semble s'arrêter. Gautier Bonduel bute sur 1788, sur le sieur Gobert, le locataire de l'époque, un faïencier. Et avant ? Cul-de-sac.
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L'entrepreneur s'entête, cherche une voie de secours. Et trouve les capitations. Les impôts ! Désormais, lecteur, quand tu règles ta taxe d'habitation, dis-toi que tu fais oeuvre historiographique. Ça passera mieux.
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La comédie des impôts
Dans leur tournée, les officiers royaux recensaient consciencieusement les occupants des logements, en vue du recouvrement du dixième et du vingtième. Habitants, mais aussi voisins, étage par étage, cave par cave. Tout un petit théâtre se met en place sous les yeux du curieux. «À mesure que je consultais les capitations, c'est toute une rue qui se mettait à vivre et que je suivais porte par porte, avec ses habitants de passage, ses servantes, ses garçons-bouchers...» Il continue à rembobiner le film de la rue. Il accoste sur les rives du XVIIIe naissant.
Les logements ne sont plus numérotés. Ce n'est qu'à force de recoupements, et parce que les aïeuls de nos agents du fisc ne changeaient jamais du parcours, que les dernières pièces du puzzle s'assemblent.
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Enfin, il le tient. Le sieur Guillaume François Leleu, maître perruquier de son état. Il exerça son art dans cette demeure, depuis sa construction en 1726 jusqu'en 1740. Il décède en 1741. «Il est né, s'est marié, est mort dans la paroisse Saint-Pierre», dit son inattendu biographe. Il y a un mois, aux archives départementales, Gautier Bonduel a mis la main sur l'acte de cession de la charge de Leleu. «Dans cet acte, que j'ai pris en photo, je tenais enfin ce personnage, sa signature. Je ne m'attendais pas à ce que ça me fasse vibrer autant.» Depuis, il a entrepris les travaux de rénovation. Il compte faire de la maison un traiteur, avec l'ambition de «recréer la maison telle qu'elle aurait pu être au XVIIIe». Meubles sur mesure, lanternes dégotées à Saint-Ouen, il ne mégote pas. La façade sera restaurée de façon à mettre en valeur les peintures. «Il n'existe pas un seul exemple à Lille de façade peinte du XVIIIe», s'enthousiasme le propriétaire.
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Jean-Denis Clabaut, de Renaissance du Lille ancien, vient de rédiger sur l'édifice un article à paraître dans le prochain bulletin de l'association. «Je connais d'autres cas, dans d'autres régions, mais à Lille, c'est unique», note l'enseignant, en louant la curiosité et l'opiniâtreté de l'enquêteur. «On connaissait cette façade mais on n'avait pas fait toutes ces recherches, c'est un travail gigantesque, qui permet d'aborder l'histoire de la ville autrement que par ses personnages célèbres et ses puissants.» Non, par un barbier, «l'un de ces petits artisans du Lille du XVIIIe, qui ont fait son histoire», juge Gautier Bonduel. Cinquante ans plus tard, un illustre confrère, le barbier Maes, se fit un plat à barbe d'un éclat d'obus pour raser les Lillois sous la canonnade prussienne. Y a-t-il la place, au panthéon local, pour un deuxième perruquier ?
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in LA VOIX DU NORD, édition de Lille du 10 mars 2010

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