jeudi 18 février 2010

La nuit de Dunkerque (Aragon)

La France sous nos pieds comme une étoffe usée
S'est petit à petit à nos pas refusée

Dans la mer où les morts se mêlent aux varechs
Les bateaux renversés font des bonnets d'évêque

Bivouac à cent mille au bord du ciel et l'eau
Prolonge dans le ciel la plage de Malo

Il monte dans le soir où des chevaux pourrissent
Comme un piétinement de bêtes migratrices

Le passage à niveau lève ses bras rayés
Nous retrouvons en nous nos cœurs dépareillés

Cent mille amours battant au cœur des Jean-sans-terre
Vont-ils à tout jamais cent mille fois se taire

O saints Sébastiens que la vie a criblés
Que vous me ressemblez que vous me ressemblez

Sûr que seuls m'entendront ceux qui la faiblesse eurent
De toujours à leur cœur préférer sa blessure

Moi du moins je crierai cet amour que je dis
Dans la nuit on voit mieux les fleurs de l'incendie

Je crierai je crierai dans la ville qui brûle
A faire chavirer des toits les somnambules

Je crierai mon amour comme le matin tôt
Le rémouleur passant chantant Couteaux Couteaux

Je crierai je crierai Mes yeux que j'aime où êtes-Vous
Où es-tu mon alouette ma mouette

Je crierai je crierai plus fort que les obus
Que ceux qui sont blessés et que ceux qui ont bu

Je crierai je crierai Ta lèvre est le verre où
J'ai bu le long amour ainsi que du vin rouge

Le lierre de tes bras à ce monde me lie
Je ne peux pas mourir Celui qui meurt oublie

Je me souviens des yeux de ceux qui s'embarquèrent
Qui pourrait oublier son amour à Dunkerque

Je ne peux pas dormir à cause des fusées
Qui pourrait oublier l'alcool qui l'a grisé

Les soldats ont creusé des trous grandeur nature
Et semblent essayer l'ombre des sépultures

Visages de cailloux Postures de déments
Leur sommeil a toujours l'air d'un pressentiment

Les parfums du printemps le sable les ignore
Voici mourir le Mai dans les dunes du Nord

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