lundi 29 décembre 2008

marée trop haute dans la région !

Marée trop haute dans la région !
Attention, le processus est déjà engagé, la mer va monter dans le Nord - Pas-de-Calais. Comment réagir et anticiper le pire ? La réponse de l'État et des collectivités locales est ambitieuse et exemplaire. Mais sera-t-elle suffisante ?

PAR YANNICK BOUCHER
La réponse commence par des groupes de travail. Six l'année prochaine. À la différence des commissions créées pour enterrer les dossiers, donc les problèmes, ces ateliers composés d'experts institutionnels et de représentants de la vie civile associative devront plancher sur une méthode, laquelle devant déboucher au printemps sur un plan d'actions avec des budgets, de l'argent, des hommes, des travaux.

La question est brûlante. Est-il possible d'éviter une catastrophe climatique dans la région la plus densément peuplée de France avec 4 millions d'habitants sur deux petits départements ? Si rien ne bouge, la mer montera. C'est bien écrit dans le dernier atlas du développement durable édité par le conseil régional : «Si les comportements ne changent pas, la concentration en CO2 (dioxyde de carbone) serait multipliée par deux en Nord - Pas-de-Calais

Efforts... insuffisants
Ce maudit CO2 est partout rejeté dans l'atmosphère. Formant une ceinture au-dessus des nuages, il piège le rayonnement solaire et réchauffe la surface de la Terre. À ce jeu, tous les pays, leurs régions et leurs habitants sont concernés, mais nulle part ailleurs en France un engagement aura été autant concerté que dans le Nord - Pas-de-Calais.

Le plan climat régional fait suite à plus de 500 actions locales contre le réchauffement. Dix territoires prennent déjà des mesures anti-CO2 et près d'une centaine de bilans carbone sont nés dans les collectivités et dans les entreprises. La baisse des émissions régionales de C02 est de 3 % par rapport à 1990, elle est de 1 % en France entière.

Des initiatives inédites prennent forme, comme ce collectif citoyen récompensé à l'échelon européen pour avoir établi la démonstration cette année que l'on pouvait diviser les émissions régionales par quatre (soit les objectifs de Kyoto en 2050) sans renouveler les réacteurs de la centrale nucléaire de Gravelines (1).

Ainsi la région fait-elle des efforts pour réduire son bilan carbone. Elle qui représente 7 % de la population nationale rejette 11 % des émissions de CO2 en France, à cause du poids de son industrie (48 % des rejets), de l'intensité de ses transports (17 %) et de sa densité urbaine (19 %). Au total, plus de 45 millions de tonnes relâchées en 2005, dernier chiffre officiel, c'est 11,2 tonnes par habitant et par an (9 tonnes en France). Et c'est trop. «Nous n'avons pas quinze ans pour inverser radicalement la tendance», affirme Emmanuel Cau, vice-président de Région chargé de l'environnement.

Vus les chiffres, les émissions de CO2 stagnent dans la région, respectant ainsi les engagements de Kyoto. Insuffisant ? Le conseil régional vient de signer un accord cadre avec l'ADEME pour développer la recherche sur la lutte contre le réchauffement climatique vers l'habitat, les services urbains et les réseaux énergétiques. Les chercheurs vont être mobilisés pour prévenir les risques. Pour quel bilan ?

Les transports émettent plus de CO2 aujourd'hui : + 27 % par rapport à 1990 (+ 22 % en France). L'industrie a baissé son score de 20 % en 15 ans via surtout la disparition de gros pollueurs. Quant à l'isolation des logements, elle est globalement mauvaise avec plus de la moitié de l'habitat régional construit avant 1950.

Résumons-nous. Un plan climat vient d'être signé, par une charte, pour engager les acteurs publics du développement régional. Les émissions ont baissé de 3 % depuis 1990 mais il faudrait à présent 3 % de baisse chaque année pour diviser le CO2 par quatre avant 2050. À l'inverse de la crise financière, la crise du climat impose un compte à rebours. C'est toute la différence.
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Les submersions marines sont inévitables
Monsieur météo va-t-il devenir fou ? Que peut-il nous arriver ?

[Une] carte fascinante montre ce qui s'est passé sous Charlemagne, autour de l'an 800. D'importantes déforestations avaient provoqué une montée des eaux et une élévation de la température sur plusieurs siècles de 2,3 °C, soit la hausse prévue d'ici moins de cent ans : autant dire que l'eau devrait monter bien plus brutalement. En attendant que Saint-Omer devienne un port, que Londres, la Belgique et les Pays-Bas soient noyés et que la métropole lilloise soit menacée par les inondations par l'Escaut, Météo France prévoit un emballement à partir de 2030. Il pleuvra plus en hiver, fera bien plus sec et chaud l'été, les tempêtes seront bien plus fréquentes, comme les jours de canicule et les surcôtes, cette dilatation naturelle de l'eau occasionnée par des hausses de pressions atmosphériques, liées aux tempêtes. Ces surcôtes ont tué 1 500 personnes aux Pays-Bas en 1953 alors que l'eau a monté de 2,18 m en une heure à Dunkerque. C'était en novembre 2007 et à marée basse.

Ça chauffe !
Que se serait-il passé en cas de marée haute ? Que faire contre une mer déjà plus haute de 17 cm depuis 1906 ? L'État travaille à modéliser la montée des eaux dans la région. Un petit avion néerlandais a pris toutes les mesures en deux passages et des cartes ne seront pas publiées avant fin 2010.

On s'interroge. Que faire pour la zone poldérisée des wateringues (fossés) et les 400 000 personnes concernées ? Comment protéger la zone industrielle de Dunkerque et ses usines à risques autour d'Arcelor et de Total ? Notre littoral est déjà soumis à une érosion intense, les falaises du Boulonnais reculent. L'étalement urbain progresse de 5,3 % par an dans la région la moins dotée en zones humides tampons contre les inondations et les coulées de boues. Ça chauffe !
• Y. B
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Pierre Radanne : «Comment gérer l'angoisse ?»
Expert européen des énergies et du climat, ancien fondateur de la maison de la nature à Lille, il était récemment l'invité discret du conseil régional. Décapant !

La feuille de route est connue. Comparées à celles de 1990, les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 35 %. En réaction, l'Europe a voté l'objectif de réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020.

- N'est-il pas déjà trop tard ?
«Qui sait, peut-être pas. Nous avons 15 ans pour agir mais c'est une certitude, nos vies vont changer dans les quarante prochaines années.
Pour la première fois dans l'histoire, l'ONU, donc le monde, doit voter le climat qu'il fera sur Terre ! C'est proprement hallucinant, cette solidarité obligatoire est devenue la première question politique totale de l'histoire de l'humanité, puisqu'absolument tout le monde est concerné, contrairement à la pauvreté ou à la violence, les deux autres grands périls.
»
- Que faire quand on se sent si impuissant face à une situation qui nous dépasse ?
«C'est connu et mesuré, la moitié des réponses au réchauffement climatique est liée aux comportements individuels. Comment je me chauffe, j'achète ou me déplace... La canicule de 2003 fut un virage. La prise de conscience débouche sur l'angoisse, c'est-à-dire l'opposé de l'action.
Comment gérer cette angoisse ? On ne livre aujourd'hui que des diagnostics : on annonce une très mauvaise nouvelle, l'eau va monter partout. Or, l'action est dans la thérapie, pas dans le diagnostic. L'angoisse est refoulée. On déprime, on oublie ou on flambe (c'est foutu, autant acheter un 4x4). Or, la mise en mouvement des gens est une question fondamentale. Pour cela, il faut expliquer, c'est la thérapie qui fera agir.
L'angoisse génère un imaginaire régressif : l'avenir sera pire et il y a déjà crise de la parole des adultes par rapport aux enfants. Comment leur dire ? On voit un monde qui se ferme mais on n'a pas les mots pour celui qui s'ouvre. Le pessimisme est une constance historique dès lors que l'on change de civilisation, comme c'est le cas à présent.
La valeur de ce siècle sera l'optimisation de l'utilisation de la ressource. L'efficacité va remplacer l'expansion, dans le cadre d'une gestion forcément plus écologique de la planète. Qu'on le veuille ou non.»
• Y. B
In LA VOIX DU NORD, édition régionale du 29 décembre 2008

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