Li vaquerieu en 2008
Au moment où j’écris ces lignes, les prévisions de divers services météorologiques prévoient un retour du mauvais temps pour les derniers jours de ce mois de mars 2008, avec des températures voisinant le zéro et même largement au dessous. On peut donc s’attendre, une fois de plus, à ce que nos médias nous servent du «jamais vu !» ou «record de température» ou «nouvelle offensive du froid» et autres termes usant abusivement de toutes sortes de superlatifs alors que ce n’est pas si nouveau que ça qu’il fasse mauvais à la fin du mois de mars.
Je vous l’ai annoncé dans une de mes chroniques. Ces jours redoutés de la fin mars ont même donné naissance à une vieille légende que l’on retrouve avec des versions très proches, dans la quasi-totalité des pays d’Europe, tout particulièrement dans tous les pays méditerranéens mais aussi en Europe centrale et il semblerait aussi dans les pays scandinaves.
Si cette légende que je vais vous conter a pris naissance il y a au moins quelques centaines d’années sinon bien plus, c’est bien parce que des faits semblables à ce qui va se passer se sont déjà produits. Il ne faudra pas cette fois encore mettre cela sur le compte du dérèglement du système qui régit notre planète ! Bien sûr, il n’est pas question dans mon propos de dénier nos façons de faire non respectueuses de la nature, et polluantes au point d’attaquer sérieusement la couche d’ozone. Ne mélangeons pas tout, mais observons Dame Nature. Respectons-la et sachons regarder les leçons qu’elle nous donne comme celle des «jours d’emprunts» ou «jours de la vieille» ou «jours de la vache» ou «li vaquerieu».
Je fais remarquer simplement que si déjà nous croyons voir le printemps bien installé chez nous, et si nos Mr ou Mmes «Météo» des petits écrans ne veulent voir pas plus loin qu’à quatre ou 5 jours, l’EDF, bien informée, elle, nous réserve ces jours «rouges» des tarifs «Tempo» ou «EjP» pour la dernière semaine de mars. Tiens donc !
«Ce que mars couve, on ne le sait qu’après son trente et unième jour» nous dit un vieux dicton. Ou encore : «Soit au commencement, soit à la fin, mars montrera son venin». En pays d’Oc on dit «Mars marsejo» ce qui veut bien dire : mars fait son temps de mars, c'est-à-dire mars n’en fait qu’à sa tête ! Rien de sûr. Mars est capricieux.
Alors cette légende la voici dans une version adaptée par mes soins, selon ce dont j’ai souvenir lointain de ce que j’ai entendu dans mes Cévennes. Une étude plus approfondie des différentes versions serait un bon sujet pour des étudiants d’écoles spécialisées. Ceux qui sont intéressés peuvent se procurer l’ouvrage : «les jours de la vieille» de Marcelle Delpastre et Albert Pestour édité par la Société d’études historiques et archéologiques de la moyenne Corrèze, à Tulle en 1961.
«La vieille» prend une signification météorologique. En Provence elle représente souvent la nature.
Le journal local «le Républicain d’Uzès» qui se situait autrement que l’actuelle publication et publiait des textes sur les histoires et traditions locales, avait donné dans ses pages, il y a une trentaine d’années, la version la plus proche de celle que je connais par tradition orale et qui est aussi la version de Frédéric Mistral qui dans «Mireille» écrit sur ces jours des mars «e li jour negre de la vaco»
Une vielle dame, s’étant gaussée d’un hiver bien peu rigoureux, avait perdu son troupeau de brebis, à cause des assauts du mauvais temps, par périodes de rafales brusques et imprévues, que rappellent à notre mémoire quelques vieux dictons bien connus de nos Anciens.
Elle ne se découragea pas pour autant et remplaça son troupeau par autant de vaches plus robustes, pensait-elle…
Le mois de mars fut favorable à son élevage et elle n’avait qu’à s’en féliciter. A la lumière de l’expérience elle eût dû en rester là. Elle eut la sottise de dire : « En escapan de mars e de marséu, aï escapa mi vaco e mi vedéu. »,
(En échappant à mars et à ses giboulées J’ai sauvé mes vaches et mes veaux). Fâché d’une telle ingratitude, le mois de mars va trouver son voisin : « «Abriéu, n’aï plus que tres jour, presto-m’en quatre li vaco de la vieio faren batre.». (Avril, je n’ai plus que trois jours, prête-m’en quatre, les vaches de la vieille nous ferons battre= mourir). Avec l’accord d’avril, une gelée tardive tua la végétation et cette fois encore la vieille perdit son troupeau.
Je peux citer quelques variantes, tout en invitant ceux qui parmi vous connaîtraient d’autres versions à me les faire parvenir, ce qui serait certainement très intéressant pour notre mémoire commune.
Dans un vieil hameau de Provence, après un hiver peu rigoureux, une vieille se moqua du mois de février parce que celui-ci n’avait pas été très rude. Comme en cette année 2008. Le mois de février en fut très fâché. Il demanda au mois de mars de bien vouloir lui prêter trois jours. Souvenons-nous que février, même avec son 29ème jour de complément, improprement appelé «bissextile» - je vous ai expliqué pourquoi - est le plus court de tous les mois de l’année. Alors se leva un mistral fou qui emporta tout sur son passage. Il fit froid. Le troupeau de brebis – les bédigues- de la vieille moururent. Elle se lamenta quelques jours puis décida d’acheter des vaches car elle pensait qu’elles résisteraient mieux au mauvais temps. Vers la fin du mois de mars, il faisait beau, les arbres fruitiers avaient déjà fleuri, les rosiers commençaient à ouvrir leurs boutons, Pâques était là, l’équinoxe était passée, le printemps était là. La vieille dansait de joie pensant avoir sauvé vaches et veaux. Mars se vexa et voyant que le mois allait se terminer sans qu’il ait pu faire périr les vaches de la vieille, il se retourna vers son voisin avril et lui demanda de lui prêtre quatre jours. Des gelées survinrent et brûlèrent la végétation. Les vaches périrent. Ainsi, soit durant les derniers jours de février, soit les trois premiers jours de mars ou pendant les derniers jours de ce mois ou encore au début du mois d’avril on peut encore entendre, dans les campagnes de nos pays d’Oc, les lamentations de la vieille, portées par le fort vent qui souffle alors.
L’hiver se rappelle à nous en nous disant qu’il peut être tardivement très rude, même si nous avançons tranquillement vers le printemps.
Selon certaines versions, la vieille sortant trop tôt son troupeau de l’étable, voit celui-ci pétrifié. D’autres versions disent que c’est la vieille elle-même qui est pétrifiée comme chez les Aït Ouaran qui disent que les mégalithes du Mont Buiblan, ou le mont lui-même, au sud de Taza, au Maroc, sont la vieille pétrifiée au milieu de son troupeau.
A Fez, chez les Hayaina, on parle d’une vieille enlevée avec son troupeau de chèvres par un torrent en crue. Selon les lieux on trouve en effet des variantes sur le bétail : moutons et brebis, chèvres ou vaches. Ou même d’une seule vache et de son veau. Chez les Seksawa, plus au sud du Maroc, on dit que la vieille fit tondre son troupeau trop tôt croyant le froid fini, ce qui contribua à faire périr les moutons. Chez les Ntifa on parle pour ces jours de fin mars du «jour de la Chèvre».
D’autres légendes courent sur ce thème en Italie, en Espagne, en Grèce et chez les Serbes, en Roumanie et en Bulgarie, et dans bien d’autres lieux.
Des versions différentes sont transmises de bouche à oreille avec parfois des versions plus drôles ou plus grivoises. Je m’en tiendrai aux quelques références données.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la nature n’a pas fini de nous surprendre. Qu’il faut la respecter, sinon elle sait nous rappeler à l’ordre.
Quant aux savants et météorologues et autres astronomes, ils pourraient fort bien nous expliquer, sur la base de leurs observations très précises, que le positionnement de la terre dans sa course autour du soleil, ou de la lune dans sa course autour de la terre et la situation de tout cela dans le cosmos planétaire présentent des coïncidences, attestées par des proverbes, dictons ou légendes qui pourraient permettre de dire que tous les éléments sont rassemblés pour que l’on puisse dire, avec peu de chances de se tromper, le temps qu’il va faire. En tous cas ne pas ignorer ces phénomènes et leurs influences. Tout juste si on évoque vaguement les saints de glace ou la saint Médard, à peine la lune rousse ! Je reviendrai sur ces points incontournables de notre calendrier dans mes prochaines chroniques.
Je relève simplement, à l’heure qu’il est et au moment où j’écris, que l’on nous annonce une chute brutale de température pour la fin de cette semaine.
Voyez plutôt : selon les prévisions du site «météo consult» il devrait faire -1° le samedi 22 mars à Uzès et le dimanche 23 et -3° le lundi de Pâques. La température sera presque tous les jours de la semaine au dessous de zéro, vers 8h du matin et ce jusqu’au 31 mars. A Paris, mais Paris ce n’est pas la France... il fera - 3° le jour de Pâques et – 1° le lendemain avec ensuite des températures, toujours vers 8h du matin, oscillant entre + 3° et + 1 degré. On devrait enregistrer -5° à Strasbourg le 23 mars et - 3° le 30 mars. Il fera + 3° à Brest le 23 et le même jour - 1° à Bordeaux. Sur Bourges on enregistrer – 2° le 23 et – 3° le 30, et sur Lyon - 3° le 23, - 2° le 24 et - 1° le 30.
Ces prévisions peuvent évoluer sensiblement. Mais ce qu’on peut affirmer c’est que tous ces derniers jours de mars il fera froid. Le présentateur du journal télévisé annonce aujourd’hui une chute des températures jusqu’à dimanche. Mais cela continuera jusqu’à la fin du mois.
Il nous faut prévoir en fonction de ces prévisions et maintenir les protections sur les plantes fragiles et surtout protéger les fruitiers qui ont déjà fleuri. En espérant que pour protéger leurs arbres du gel, les agriculteurs ne vont pas allumer en bordure des champs les vieux pneus qui y sont entassés en prévision des gels. Si on en voit de moins en moins on en voit encore !
Car «si l’hiver ne janvroie, si février ne févroie, mars vient que ne laisse rien» dit-on en Eure et Loir. C'est-à-dire que janvier se doit d’être froid et février pluvieux, sinon les effets de l’hiver surgiront en mars, anéantissant toutes les promesses de récolte.
Et il faudra s’attendre à des attaques semblables de mauvais temps, avec des risques multipliés, pour la prochaine «lune rousse» qui doit commencer le 6 avril pour se terminer le 5 mai avec sa litanie de «saint Cavaliers» et de «saints de Glace».
A Diou sias !
Jean Mignot
18 mars 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire