vendredi 6 juillet 2007

De Lille au Kosovo, le général de Kermabon passe dans l’active civile


Après une carrière militaire bien remplie, le général Yves de Kermabon va quitter le 5 juillet le commandement lillois du corps de réaction rapide France (CRRFR), qui vient d’obtenir sa certification OTAN. Mais l’heure de la retraite n’a pas sonné pour autant. Il s’apprête à remplir une mission civile au Kosovo.
PAR OLIVIER BERGER
– Pourquoi la France a-t-elle besoin d’un outil comme le corps de réaction rapide France (1) ?
« C’est l’ancien président de la République, Jacques Chirac, au sommet de Prague de novembre 2002, qui a décidé de doter la France d’une force de réaction agréée par l’OTAN et d’un état-major HRF (High Readiness Force, force de réaction rapide), capable de se déployer sur les théâtres et d’offrir une capacité de commandement pour laquelle nous n’avions pas les compétences. »
– Concrètement, à quoi servira le CRRFR ?
« Il donne la possibilité à la France de commander une force de 50 à 60 000 hommes, seule, avec l’Union européenne ou l’OTAN. Cela permet de rejoindre le club des six états-majors de réaction rapide, d’échanger, discuter, s’enrichir et s’entraîner (2). Seul l’OTAN propose ça. »
– Il a également une importance politique pour la France…
« La France reste à la hauteur de ses ambitions. Elle entend tenir sa place à l’international. Si demain au Darfour une force doit se déployer, la France, qui a toujours été un gros contributeur des opérations extérieures, pourrait prétendre à commander. Et on peut imaginer qu’elle prenne ses responsabilités. »
– Le Darfour pourrait-il constituer la première intervention du CRRFR ?
« Le CRRFR doit entrer dans un tour d’alerte OTAN du 1er juillet au 31 décembre 2008. Mais si une grosse opération est décidée, dans le cadre d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, le corps serait tout à fait adapté et prêt à ce type de mission. C’est d’ailleurs envisageable sous l’impulsion de M. Kouchner. La France a une capacité opérationnelle reconnue par tout le monde mais avec ce nouvel état-major, on parle moins de l’expérience d’un soldat que de la capacité de mener 50 à 60 000 hommes. »
– Comment le corps a-t-il été noté par l’OTAN ?
« Après des tests en octobre, en février à Lesquin et en mars à Mourmelon, le résultat officiel est arrivé il y a quinze jours avec une lettre du secrétaire général de l’OTAN qui déclare que nous sommes certifiés OTAN. Les résultats ont été jugés « outstanding » (remarquables). Toute modestie mise à part, ce sont les meilleurs résultats des six autres corps existants. C’est un très gros événement pour la France d’entrer dans ce club et le 5 juillet, le ministre de la Défense viendra à Lille pour le confirmer. »
– Pourquoi la citadelle de Lille a-t-elle été choisie pour abriter le quartier général du CRRFR ?
« Lille est très bien placée géographiquement. Pas loin de Bruxelles et des centres de décisions de l’OTAN et de l’Union européenne, de Paris… Elle possède également des moyens de projection très bien équipés avec l’aéroport de Lesquin, un réseau de voies ferrées. La proximité du commandement de la force d’action terrestre a également pesé. Lille propose une vraie capacité d’accueil mais il a fallu réaliser d’énormes travaux à la citadelle pour faire entrer un corps du XXIe siècle dans un cadre du XVIIe (3). »
– Vous terminez votre carrière d’officier d’active. Une mission, civile, vous attend au Kosovo, un pays que vous connaissez bien…
« Je suis allé dans les Balkans à cinq reprises, deux fois en Bosnie et trois fois au Kosovo. L’envoyé spécial de l’ONU, Martti Ahtisaari, a proposé une indépendance contrôlée. Dans ce cadre, une mission PESD (politique européenne de sécurité et de défense) serait menée pour soutenir le jeune gouvernement kosovar qui doit mettre en place un État de droit dans les domaines de la police, la justice, les douanes et l’administration pénitentiaire. Avec 1 800 fonctionnaires internationaux et 1 000 Kosovars, ce serait la plus grosse mission civile de l’Union européenne. Poussé par M. Solana, Haut Représentant de l’UE, rencontré lorsque j’étais au Kosovo, j’ai accepté de diriger la mission pour dix-huit mois. »
– Le projet semble bloqué par les oppositions serbes et russes.
« Le projet Ahtisaari a été accepté par tous, sauf la Serbie à qui on arrache une partie de son territoire, et reste sous la menace d’un veto russe. M. Sarkozy a proposé d’attendre encore quatre mois pour convaincre Serbes et Russes. Après les incidents extrêmement graves qui ont eu lieu au Kosovo, il n’y a pas de retour possible en arrière ; cette province est habitée par 90 % d’Albanais ! Il faut trouver des accords régionaux. La Serbie peut en attendre une place plus conforme à son rang en Europe. C’est difficile de passer d’une position dominante à une minorité. »
– On ne peut pas parler de retraite, en ce qui vous concerne…
« J’ai beaucoup hésité. C’est une mission difficile, exigeante mais exaltante. Un défi nouveau pour moi. Je suis, je n’ose pas dire, l’arme au pied, mais j’attends la résolution de l’ONU. Le 5 juillet, j’arrête mon commandement à Lille, où je serai remplacé par le général Christian Damay (nommé hier en conseil des ministres), et le 16, je serai dans le bureau de M. Kouchner. Le Kosovo est au coeur de l’Europe, c’est un sujet qui touche tout le monde. Tous les trafics venant de l’Est passent par les Balkans, il y a besoin d’un énorme travail de reconstruction. »

1. – Comme le dit le général de Kermabon, le CRRFR est « plus une affaire de matière grise que de bras » avec quatre cent vingt hommes de treize nationalités, essentiellement des officiers.
2. – Les autres corps de réaction rapide de l’OTAN : l’ARRC à Rheindalen en Allemagne (commandement britannique) ; le corps germano-néerlandais à Munster en Allemagne ; les CRR de Solbiate en Italie, Betera en Espagne et Istanbul en Turquie ; l’Eurocorps à Strasbourg.
3. – Outre une rénovation architecturale, la citadelle est devenue une « forteresse » informatique avec la pose de plus de 600 km de fibres optiques.

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