vendredi 2 avril 2010

du mois d’Avril 2010

Jusqu’à l’ordonnance ou édit de Roussillon en 1564 – Roussillon en Isère- avril commençait l’année, d’où son nom tiré du verbe latin « aprire ». Avril partage avec février la particularité de tirer son nom d’un verbe et non de le devoir à un dieu ou à sa place dans le calendrier comme les dix autres mois de l’année. L’édit de Roussillon n’entra en application que très progressivement, d’abord parce qu’il fallait du temps pour qu’il soit communiqué aux provinces mais aussi parce l’habitude avait été prise ici ou là de commencer l’année, selon des coutumes ou fêtes locales, à des dates différents. Tantôt Noël, tantôt Pâques, ou le 25 mars comme à Vienne, ou encore au 1er mars.

Les étrennes qu’on avait l’habitude de s’échanger en début d’année, furent transformées en de faux messages, de faux cadeaux. Ce serait l’origine de notre «Poisson d’avril». Il existe d’autres interprétations que j’ai déjà eu l’occasion de développer les années précédentes. Pour cette fois je m’en tiendrai à celle-ci.

Avril tout nouveau n’est pas vraiment tout beau. C'est un mois versatile, qui en dépit du calendrier tient encore largement de l'hiver, et dont les froids passagers, souvent pinçants, sont d'autant plus mal accueillis que l'on espérait en avoir fini avec eux, surtout après les derniers jours de mars, les fameux «vaqueirieu» qui cette année ont bien été marqués par des chutes de température et du mauvais temps, comme je vous les ai annoncés. D'où le dicton : « Il n'est si gentil mois d'avril, qui n'ait son manteau de grésil. » Parfois la neige s'ajoute au grésil : « Il n'est point d'avril si beau, qui n'ait neige à son chapeau ».Nous dans la région nous avons eu neige et grésil sur nos montagnes, et grêle et orages en plaine.
Ce rabiot de l'hiver, qu'il nous est difficile d'accepter sans récrimination, doit nous inciter à la prudence: «En avril, ne te découvre pas d'un fil.» Ou :"celui qui s'allège avant le mois de mai, certainement ne sait pas ce qu'il fait."

Pâques est le plus souvent en avril. Il faut en rappeler l’origine car j’ai entendu encore cette semaine des adultes bien pensants et bien respectables ignorer complètement, non pas la signification de ce jour mais le pourquoi de sa date variable. Les Pâques chrétiennes viennent de la fête juive qui commémore la sortie d’Egypte et le passage de la Mer Rouge, ou plus précisément encore à la 10ème des plaies envoyées par Jéhovah sur l’Egypte : l’extermination de tous les nouveaux nés. Chaque famille juive, suivant les consignes divines, devait sacrifier un agneau et marquer le montant des portes des maisons du sang de l’agneau pour que l’ange exterminateur épargne le peuple élu, ainsi marqué du sceau de l’agneau. C’est la fête de Pessah.
Nous noterons, en Cévennes, que c’est en référence à ce signe, que le sinistre maréchal de Montrevel, ne pouvant venir à bout de l’insurrection des Camisards, avait obligé les Cévenols à marquer l’entrée de leur maison d’une croix, de façon à signifier leur adhésion à la religion catholique pour éviter ainsi que leur demeure soit détruite, rasé ou brûlée et la population déportée. Regardez au dessus des portes des maisons cévenoles. On voit encore ces croix, souvent badigeonnées à la chaux.

C’est à l’occasion de cette fête juive qu’eurent lieu la Passion et la mort du Christ. La pâque juive débute le 15ème jour du mois de Nissan, et dure huit jours, selon le calendrier hébraïque qui est établi sur une base lunaire. Cette année c’est du 29 mars au 5 avril. D’où le décalage avec notre calendrier. Très souvent en avril Pâques peut aussi être en Mars. Pendant des siècles la date de Pâques fut très aléatoire voire même à des dates différentes selon les régions ou les pays. Au XIème siècle on allait jusqu’à commencer l’année à Pâques, ce qui donnait des années de durée variable puisque Pâques est une fête mobile. Après trois siècles de controverses, liées notamment aux questions des fluctuations du calendrier et de la difficulté de faire coïncider le cycle lunaire, le cycle solaire et les saisons, la date de la fête de Pâques a été fixée par le Concile de Nicée, en 325 «au premier dimanche qui suit le quatorzième jour (soit la peine lune) qui atteint cet âge au 21 mars (jour de l’équinoxe) ou immédiatement après». Pâques se fête donc entre le 22 mars et 25 avril. Cette année c’est donc le dimanche 4 avril.

La mobilité de cette fête, toute relative est déterminée par un très long et savant calcul qu’on appelle «le comput». Elle détermine la date des fêtes de l’Ascension et de Pentecôte, synonymes pour beaucoup, en dehors de leur signification religieuse, de jours fériés. Ce qui complique bien nos différentes organisations. Le débat reste d’actualité. Il convient de dire ici, ne serait-ce que pour éclairer un peu la question, que le lundi de Pâques, pas plus que le lundi de Pentecôte, n’ont de fondement religieux, sinon qu’ils sont au lendemain de grandes fêtes.

Ces modulations de la date, reliées au cycle de la lune et du soleil, peuvent expliquer le temps qu’il fait de façon presque immuable la semaine sainte, ou du lundi beau et venteux on arrive au jeudi et au vendredi souvent pluvieux ou orageux, suivi du dimanche et du lundi presque toujours perturbés et parfois froids. C’est ce qui va se passer pour cette première semaine du mois d’avril, avec une chute prononcée des températures mais cependant plutôt beau temps frais le jour de Pâques et le lundi de Pâques. Du moins pour nous dans le midi. N’a-t-il pas fait mauvais temps pour Noël ? «Noël au balcon, Pâques aux tisons» Ce dicton sera-t-il vrai dans l’autre sens ? Nous serons bien vite !

Le 14 avril débutera la nouvelle lune qui est appelée Lune Rousse. C’est le nom de cette lunaison qui commence en avril et devient pleine soit avant la fin de ce mois soit au début du mois de mai. Cette année du 14 avril au 14 mai. C’est pendant cette période que se situent les saints de glace et leur influence est d’autant plus à craindre qu’elle coïncidera avec la lunaison. Car s’il faut parler d’influence, c’est bien de celle de la lune et non des braves saints qui ne sont en rien pour tout ce que les dictons nous prédisent comme malheur, ou bonheur…comme je l’ai déjà écrit.
Voyez plutôt : «Lune rousse, vide bourse» ; «lune rousse, rien ne pousse» ; «Gelée de lune rousse de la vigne ruine la pousse» ; «Récolte n’est point assurée que la lune rousse soit passée». Et bien d’autres !

Mais pourquoi rousse ? Parce qu’elle roussit les jeunes pousses selon une explication que je tire de cette anecdote historique. Le savant Laplace qui conduisait une délégation de scientifiques auprès de Louis XVIII, avait été piqué au vif par une question du Roi sur ce sujet : « Je suis charmé de vous voir réunis autour de moi, aurait dit le Roi aux membres composant une députation du Bureau des Longitudes qui étaient allés lui présenter la «Connaissance des temps et de l’annuaire», car vous allez m’expliquer nettement ce que c’est que la lune rousse et son mode d’action sur les récoltes». Laplace, à qui s’adressait plus particulièrement le souverain, resta comme atterré ; lui qui avait tout écrit sur la lune, n’avait en effet jamais songé à la lune rousse. Il consultait ses voisins du regard mais, ne voyant personne disposé à prendre la parole, il se détermina à répondre lui-même : «Sire, la lune rousse n’occupe aucune place dans les théories astronomiques ; nous ne sommes donc pas en mesure de satisfaire la curiosité de Votre Majesté.»

Le soir, dans les salons, pendant le jeu, le Roi se gaussa beaucoup de l’embarras dans lequel il avait mis les membres de son Bureau des Longitudes. Laplace l’apprit et vint demander à Arago s’il pouvait l’éclairer sur cette fameuse lune rousse qui avait été le sujet d’un si désagréable moment. Arago alla aux informations auprès des jardiniers du Jardin des Plantes et d’autres cultivateurs, et voici le résultat de ses investigations que le grand savant a ensuite rédigées et qui ont été publiées par Flammarion dans l’ouvrage «Astronomie populaire»:
«Dans les nuits des mois d’avril et mai, la température de l’atmosphère n’est souvent que de 4, de 5 ou de 6 degrés centigrades au-dessus de zéro. Quand cela arrive, la température des plantes exposées à la lumière de la lune, c'est-à-dire à un ciel serein, peut descendre au dessous de zéro, nonobstant l’indication du thermomètre. Si la lune, au contraire, ne brille pas, si le ciel est couvert, la température des plantes ne descend pas au-dessous de celle de l’atmosphère, il n’y aura pas de gelée, à moins que le thermomètre n’ait marqué zéro, pour d’autres raisons. Il est donc vrai, comme les jardiniers le prétendent, qu’avec des circonstances thermométriques toutes pareilles, une plante pourra être gelée ou ne l’être pas, suivant que la lune sera visible ou cachée par des nuages; si les jardiniers se trompent, c’est seulement dans les conclusions : c’est en attribuant l’effet à la lumière de l’astre. La lumière lunaire n’est ici que l’indice d’une atmosphère sereine ; c’est par suite de la pureté du ciel que la congélation nocturne des plantes s’opère ; la lune n’y contribue aucunement ; qu’elle soit couchée ou sur l’horizon, le phénomène a également lieu. L’observation des jardiniers était incomplète, c’est à tort qu’on la supposait fausse.»

Les savants viennent ici au secours de la sagesse populaire qui avait fait les mêmes observations depuis belle lurette ! Sans le démontrer par des statistiques !
Le 28 avril nous observerons la pleine lune le 28 avril et je parie qu’il faudra alors redoubler de vigilance du moins sur nos plantes et arbres fruitiers car il y a un nœud lunaire le 20 et que notre belles amie sera très proche de nous à son périgée le 24... Je rappelle, n’en déplaise à ceux qui n’y trouvent pas d’explication scientifique, que le nœud lunaire c’est le moment où la courbe de la lune coupe le plan de l’écliptique, c'est-à-dire le plan apparent sur lequel se déplace le soleil. Ces moments là sont souvent des périodes de perturbations auxquelles les végétaux sont particulièrement sensibles. Des semis faits durant ces moments donnent des graines stériles. On constate aussi que le ciel est souvent blanc «mou». Ce sont ces effets que l’on redoute au moment des saints de glace au point d’avoir créé quantité de dictons et de proverbes. Bien sûr la méthode d’observation ne s’appuie pas sur des données enregistrées dans de beaux tableaux statistiques sur nos ordinateurs. Pourtant, je suis sûr que si on notait régulièrement le temps qu’il faisait aux mêmes périodes, en notant bien le positionnement du cycle lunaire, on vérifierait facilement que les observations de nos ancêtres qui les ont amenés à «inventer» des dictons, ont une vraie valeur statistique, voire scientifique, tout aussi valable que la plus sérieuse des études. Complexité d’une étude..à faire.. ! d’autant plus que le cycle de la lune, selon le cycle de Méton ne se reproduit dans les mêmes conditions que tous les dix neuf ans. Il y a donc des années où ces dictons ne peuvent pas se vérifier.

«Les gelées de la lune rousse, de la plante brûlent la pousse» ou encore : «Récolte n’est point assurée que la lune rousse n’ait passé» Et comme dans les dictons on trouve tout et son contraire, ce qui peut s’expliquer par le fait que le cycle de la lune ne revient en gros que tous les neuf ans : «la lune rousse donne tout, ou bien elle ôte tout. Ce qu’elle met au monde, elle le nourrira ; ce qu’elle y trouve elle l’étranglera»

J’espère qu’avec ces explications, amis «parisiens» ou d’ailleurs, vous ne ferez plus de confusion entre cette lune rousse d’avril et la belle lune aux couleurs rouge orangé que vous voyez se lever aux beaux soirs d’été. De Lune Rousse il ne peut y avoir que celle qui se situe après la fête de Pâques comme je viens de tenter de l’expliquer, à cause des effets qui se produisent à cette période, effets qui n’ont rien à voir avec un «rayonnement» de la lune, puisque «rayonnement» de la lune il n’y a pas.

Avec la Lune Rousse voici les Saints de glace. Le premier de la liste est Saint Georges, le 23 avril. Ce saint est en effet accompagné d’une kyrielle de proverbes et de dictons sur la pluie. «Pluie de saint Georges, coupe les cerises à la gorge !» ; «S’il pleut à la saint Georges, de cent cerises, restent quatorze.» ; ou encore : «S’il pleut à la saint Georgeau, n’y aura guignes ni bigarreaux».
De toutes les façons, qu'il pleuve ou qu'il vente, pour la saint Georges il faut mettre la "graine" c'est à dire les œufs de ver à soie, que l’on appelle « es borgnes» car ils n’ont pas d’yeux, dans les couveuses, et non plus comme autrefois dans un petit sac pendu sous les jupons des dames ou encore dans leur soutien-gorge… petit sac qu’on glissait la nuit sous l’édredon du lit conjugal. Un vieux proverbe occitan, bien connu en Cévennes, nous dit que pour la saint Marc ce sera trop tard. Les plus anciens connaissent bien cela, et particulièrement à Uzès, pays d’élevage des vers à soie, des magnaneries et des filatures, et où les habitants sont appelés «débassaïres», «les faiseurs de bas», surnom justifié par le nombre des filatures présentes sur la ville ! Il faut pour élever les vers à soie, «les magnans», surtout quand ils sont tout petits, des feuilles très tendres. On imagine alors facilement combien les gelées de ces jours étaient dramatiques pour les « éleveurs de ver à soie » quand la feuille des mûriers, toute jeune et frêle était roussie pendant cette lunaison. (Il faut remarquer au passage, que dans le vocabulaire local, on parle plus souvent de «la» feuille et non des feuilles…)

Saint Marc le 25 avril, des quatre évangélistes le plus concret et le plus visuel, avec des récits pleins de fraîcheur, est toujours représenté par un lion ou avec un lion. C’est le patron des notaires. «S’il pleut le jour de la saint Marc, les guignes couvriront le parc» ou «A la saint Marc s’il tombe de l’eau, il n’y aura pas de fruits à couteau», C’est à dire de fruits dont on enlève la peau avec un couteau pour les manger…

Avec ses compères il complète le bataillon des saints de glace dits aussi les saints Cavaliers : «Marquet (Marc), Georget (Georges), et Philippet (Philippe) sont trois casseurs de Gobelets.». Saint Philippe était autrefois fêté le 1er mai. Pourquoi casseurs de gobelets ? Parce que le froid ou la grêle ces jours–là est néfaste pour la vigne, donc au vin, donc aux pichets et aux gobelets. On trouve encore : «Trois saints dont faut se méfier…» Et ce ne sera pas fini ! Il faut compter encore sur Saint Robert le 29 avril : «Gelée de saint Georges, saint Marc, saint Robert, récolte à l’envers.» On dit aussi : «La pluie de saint Robert, du bon vin emplira ton verre.». Si donc il pleut à ce jour-là, tout ne sera pas négatif…Par contre s’il pleut ensuite pour les saints suivants ce sera différent. Le 30 avril pour Saint Eutrope (ou Tropet) : «Saint Eutrope mouillé, cerises estropiées.»

Et la litanie des Saints de Glace se poursuivra en mai jusqu’au 14 mai, avec les trois saints les plus connus de cette rimbambelle, Mamert, Pancrace et Servais, à partir du 11 mai: «Trois saints dont il faut se méfier» car : «Mamert, Servais et Pancrace, voilà les trois saints de glace.». D’où aussi l’origine des prières des Rogations qui se déroulaient les trois jours avant la fête de l’Ascension, le 13 mai cette année. De tout cela je m’en entretiendrai avec vous dans ma prochaine chronique. En attendant, «Ne quitte pas la laine pour prendre le fil» comme on dit en Gascogne. Soyons prudents !

A Diou sias !
Jean Mignot
Le 31 mars 2010

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