mercredi 3 février 2010

Tixier, le don de soi

A Dunkerque, on connaît le prix qu’exige la mer. Quand le canot rouge de la SNSM fend les flots, chacun sait que le voyage peut être sans retour, que le sacrifice à consentir l’est sans contrepartie aucune comme pour Tixier. Une plaque apposée sur le Leughenaer interpelle le passant et fait souvenir de ces risques, alors que face à elle, la houle berce doucement les bateaux abrités dans la cale des pêcheurs.

S’il ne fallait en retenir qu’un
Jean-François Tixier nait en 1829 d’un père auvergnat, un charpentier venu travailler dans la construction navale, et d’une dunkerquoise. Il grandit au milieu de charpentiers de marine et de pêcheurs à Islande, qui paient régulièrement un lourd tribut à la mer, laissant de nombreuses familles dans la gêne et l’affliction. Après avoir travaillé plusieurs années avec son père, Tixier s’établit vite à son compte comme armateur et fait rapidement fructifier son affaire. N’oubliant pas ses origines, il établit avec d’autres Dunkerquois une société d’entraide, la «Société Humaine», pour les naufragés mais loin de s’en contenter, il prenait le commandement de canots pour porter secours aux navires en perdition. En septembre 1853, alors qu’il observe son père à bord d’un canot avec quatre rameurs à la manœuvre dans le chenal, il voit l’esquif chavirer, se jette à l’eau et les ramène tous à la berge. En mars 1854, alors que l’hiver est particulièrement dur, un homme tombe à l’eau et disparaît sur la glace de l’avant-port. Tixier plonge mais ramène un corps sans vie. Sa renommée dépasse les remparts de la ville.

La tempête de 1855
Le 6 décembre 1855, le brick «Mogador» est drossé sur la plage de Saint-Pol. Avec son frère Désiré et plusieurs autres sauveteurs, il se porte à son secours mais la mer brise son canot et il doit d’abord sauver ses hommes. Le soir même, la tempête fait échouer près de la jetée Est le «Dorothy». Sous les rafales et les paquets de mer, il parcourt avec son frère et un de ses hommes toute l’estacade et sauvent, envers et contre tous, l’équipage et ses marins blessés. Presque immédiatement après, un trois mats anglais est signalé en perdition à 500 mètres de là. Tixier repart immédiatement malgré la fatigue et le froid, quitte son canot et rejoint le navire à la nage. Il ne trouve qu’une femme évanouie dans la cabine du capitaine qu’il ramène sur la rive.

Le 29 janvier 1857, le chasse-marée «les Trois Sœurs» fait naufrage près de l’avant-port. Le canot qui se porte à son secours ramène dans la tempête des marins blessés mais se retourne en mer… Tixier les sauve à son tour d’une mort certaine… Sa renommée est telle qu’il croule sous les décorations et autres distinctions mais elles n’éteignent pas la flamme qui le consume. En 1858, il sauve l’«Amiral Norton», en 1861, c’est l’«Edward Everett»… Les années suivantes, la liste des navires et des hommes qu’il sauve s’allonge considérablement. En 1870, au bout de 18 ans de service, il a secouru officiellement 29 navires et sauvé plus de soixante personnes.


Un sauvetage fatal
Le 30 septembre 1871, le brick norvégien «Catharina Christina» chargé de bois est drossé à quelques encablures à l’est du port. Les vagues en brisent la poupe, le capitaine est jeté par-dessus bord. Devant la force des vagues, l’équipage n’a d’autre solution que de se réfugier dans les mats et les vergues et le chargement, bousculé par les vagues, met les sauveteurs en danger. Tixier rejoint des sauveteurs, plonge et disparaît sous les flots. Ironie du sort, la tempête se calme une demi-heure plus tard, permettant aux marins de gagner la plage par leurs propres moyens. Le corps de Tixier n’est retrouvé que le lendemain. La municipalité décide de prendre en charge ses funérailles qu’une foule considérable suit pour son dernier voyage vers le cimetière communal. La «Société Humaine» de Dunkerque fait alors apposer une plaque sur le Leughenaer mais l’opinion publique exige mieux et l’on dressa une statue de lui, face à la mer, à l’endroit même où il se jeta à l’eau. Le buste ne résista pas à la tourmente de 1940… Encore aujourd’hui, Tixier veille à la sécurité des Dunkerquois car l’écluse qui commande l’évacuation des eaux des watergangs porte fièrement son nom.

Aucun commentaire: