vendredi 9 octobre 2009

Des villes de Flandre et de l'Italie : entre séduction et fascination

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En guise de préambule, il convient de rappeler les liens anciens entre Flandre et Italie. Elle est en grande partie intégrée à Lotharingie née du Traité de Verdun, qui s’étend de la mer du Nord à la Méditerranée, elle fait partie intégrante du rêve Bourguignon d’un empire universel concurrent de la France et enfin, elle appartient en grande partie au Saint-Empire Romain Germanique qui unit les populations du Nord à tout le centre européen et à l’Italie.
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Notons au passage que Charlemagne, empereur germanique, est couronné à Rome, ville on ne peut plus italienne.

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IL Y A DONC DES REMINISCENCES ANCIENNES ET NOMBREUSES

Celles-ci d’ailleurs sont renforcées par les relations obligées avec les marins italiens lors des croisades : Constantinople n’a t elle pas été prise en 1204 pour le compte des Vénitiens par Baudouin IX de Flandre ?
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Il faut aussi parler des relations entre Flandre et Italie facilitées par les positions opposées en Europe. La Flandre a une façade maritime et a toujours eu des ports et des grands marins alors que l’Italie a des cités-états maritimes. Les deux régions sont reliées par les circuits des foires, notamment de Champagne puis de Flandre.Les échanges commerciaux facilités par la présence de populations foraines : marchands et négociants, banquiers, artistes, religieux.
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La vogue dès le XVIe siècle des récits picaresques, des comptes-rendus de voyage comme les relations de Ludovico Guiccardini. La mode est à la description et attise la curiosité de part et d'autre de l'Europe…
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I. AVANT TOUTE CHOSE, DEMYSTIFIER LA SOIT-DISANT INFLUENCE ESPAGNOLE !
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Avant la seconde guerre mondiale, L. BEEKEMAN publie une longue réfutation sur le prétendu mythe de l’influence espagnole en France… Force est de constater qu’il ne manque pas de preuve à l’appui de son propos ! C'est que longtemps on avancé que TOUTE l’architecture flamande était fille des Espagnes… Tout est espagnol à l’image des «maisons espagnoles» de Cambrai comme de Valenciennes…
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Or il est un souci majeur : comment expliquer que l’on ne trouve RIEN des thèmes architecturaux majeurs flamands en péninsule ibérique ? D’autant plus que ce style s’est développé en Flandre bien avant l’arrivée des Espagnols dans nos terres… Et encore, leur présence fut elle bien symbolique !
- peu de nobles : quelques officiers et hauts-fonctionnaires
- peu de troupes (il subsiste encore en Espagne deux tercios « de Flandes »)
- pas de traces dans la langue, que ce soit le flamand ou les patois du littoral
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Tout au plus peut-on accorder une influence dans la dimension doloriste des processions de pénitents à l’image de Furnes où les ressemblances avec la Semana Santa sont nombreuses, ainsi qu’une forte dépendance dans le culte des reliques… Encore que… Après tout, cette forme de religiosité est très répandue en Europe durant la fin du Moyen-âge et s’est renforcée en Flandre comme en Espagne qui sont des bastions de la Contre-Réforme, arcboutées dans la lutte contre le Protestantisme… La Flandre en porte d’ailleurs les stigmates avec les émeutes iconoclastes et le foisonnement du baroque…
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Au contraire, les relations entre Flandre et Italie sont bien plus évidentes et cela dans de nombreux domaines…
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II. DES VILLES COUSINES
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BRUGES est surnommée la« Venise du Nord », aujourd’hui certes, le slogan touristique est lourd de symbole mais hier ? Nombreuses sont les villes qui ont un petit air de famille avec la cité fondée par les habitants d’Aquilée…

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Pour n’en citer que quelques unes
- Lille, longtemps appelée la "ville aux cent canaux et rivières"
- Valenciennes, structurée autour de l’Escaut
- Bruxelles
- Gand
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En Flandre, les villes, surtout quand elles sont de fondation comtale, s’appuyent sur deux caractéristiques majeures : une organisation bipolaire, voire bicéphale autour d’un forum civil et d’un pôle spirituel (collégiale ou cathédrale) et un réseau hydrographique dense formant des îles à la fois pour la défense (habitude antique si l'on se réfère à Strabon) comme pour le commerce et le transport (voir le point de rupture entre haute et basse Deule à Lille). Les similitudes, pourtant ne s’arrêtent nullement à cet aspect anecdotique.

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Les deux régions ont un second point commun qui influe l’urbanisme : la lutte contre le pouvoir politique central.

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Si en Flandre, il n’est nullement question de faire une révolution, on constate que la bourgeoisie œuvre dès le moyen-âge pour conquérir des libertés: un vaste et pérenne mouvement des chartes et franchises, la mise en place des echevinages (qui finalement sont pénétrés par la noblesse qui paye le droit de bourgeoisie, contrairement à la France), la construction d’une symbolique avec les beffrois, donjons civils ainsique que la lutte d’influence visible par la multiplication des hôtels particuliers et de l’emploi d’artistes renommés. Il y a donc un réel mécénat (tiens c’est Italien!) au Nord de l’Europe
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En Italie, on assiste à une évolution semblable dans la volonté de s’affranchir du Saint-Empire Romain Germanique : fondation de villes neuves, lutte entre le grosso populo et le minuto populo, une lutte constante d’influences entre les grandes familles qui se matérialise par la construction de palais portant souvent des tours comme à Florence… et partout lavolonté affirmée d’autogestion des villes.
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Dans les deux cas, l’on assiste à une lutte acharnée pour s’affranchir du pouvoir central…
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Il faut bien en convenir, les relations entre les deux populations sont étroites: tout d'abord, par le commerce : si l’on trouve des draps flamands à Kiev, il faut bien qu’ils aient été transportés or l’Italie médiévale domine la Méditerranée et constitue un point de passage presque obligé pour le transport terrestre et une quasi obligation pour le transport maritime, les réseaux bancaires italiens, notamment lombards, quadrillent l’Europe or ces établissements sont nécessaires à la sécurité des transactions cependant on doit noter l’importance des établissements purement flamands. La bourse n’est-elle pas née à Bruges dans la maison des Van Beurse…

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La maison des Van Beurse
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Quant aux artistes, ils échangent nombre d'informations pour le style comme pour la technique et nombreux sont ceux ont des œuvres similaires.
Il y a une convergence de style voire même une certaine unité car la Renaissance Flamande s’inspire de la renaissance italienne, les primitifs flamands travaillent régulièrement pour les mécènes italiens.
De fait, il n’est aucun étonnement que par ces voies les styles se ressemblent et s’influencent mutuellement.
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Ainsi, il n’est pas rare de trouver des artistes ou des architectes officiant en Flandres et en Italie à l’image de Coebergher, personnage on ne peut plus lié à la région dunkerquoise… Il faut bien en convenir, Wenzel, enfin... Wenceslas, est souvent surnommé le «Léonard de Vinci flamand». Né et décédé à Anvers (1557-1634), Wenceslas Cobergher à apprend à peindre à Rome mais la ville a d’autres charmes. Il y suit alors des études d’architecture et d’hydraulique, jusqu’à ce que les Archiducs Albert et Isabelle, qui administrent la Flandre au nom du Roi d’Espagne, le rappellent et en font leur Ingénieur. D’ailleurs, à partir de 1615, il ne travaille plus que pour eux et arrête de peindre à partir de 1618. Cobergher touche à tout: à l’architecture civile et religieuse, à la religion en publiant Amor Pietatis en 1618, aux études économiques et à la chimie... mais Albert et Isabelle lui réservent de grands projets pour cet esprit éclairé. Première mission : assécher les Moëres. La tâche est herculéenne car ce sont deux vastes lagunes, la grande mesure 3.000 ha, la petite 200 ha seulement. Les travaux débutent en 1617. Les travaux sont enfin achevés treize ans plus tard mais le progrès est éphémère car pour contrer les Français, le gouverneur espagnol de Dunkerque fait tendre l’inondation. Ce n’est qu’en 1752 que le Comte d’Hérouville ordonne de refaire les travaux
La seconde mission ordonnée par les Archiducs ne fut pas plus facile : éradiquer la misère, tout au moins la réduire. Les pauvres ne peuvent s’adresser qu’aux Lombards. Ce sont des établissements bancaires tenus généralement par ces Italiens du Nord qui pratiquent l’usure.
Les Archiducs chargent donc leur ingénieur de créer des Monts-de-Piété à travers toute la Flandre. Il en élèvera 15 dont ceux d’Arras, de Lille, de Cambrai, de Douai, de Valenciennes et de ... Bergues.
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Fonctionnant sur la base du prêt sur gage, le Mont-de-Piété assure des taux plus intéressants mais il ne supprime pas pour autant la précarité : il faut avoir des biens à gager. Des établissements en Flandre Française, seul subsiste celui de Bergues, qui porte la date de 1630 . Il montre l’influence du séjour romain de Wenceslas : ses larges pignons s’inspirent de l’église San Gésu de Rome où cadres de pierre disputent aux volutes et autres guirlandes.
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III. Une architecture en écho
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A partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, la Renaissance s’implante définitivement en Flandre. L’influence italienne est manifeste, complétant les relations d’affaires séculaires. Si le gothique persiste, notamment par les festons et dentelles de pierre, la décoration s’italianise profondément.
Qui pour en assumer la responsabilité? Les riches commerçants en négoce, les ecclésiastiques, notamment les Jésuites, propagateurs de la contre-Réforme
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Néanmoins, on constate en même temps la disparition progressive du bois au profit de la pierre blanche et des briques de clyte, le maintien des pignons gothiques en escalier et la persistance des lucarnes.
Il est une autre transformation fondamentale avec l'adaptation des façades à la décoration lourde des bahuts des escriniers et la multiplication des façades historiées.
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De fait, les décors des maisons voient se multiplier les bulbes, les gradins, les ailerons, les consoles à volutes, les têtes d'anges et les mascarons, les masques montrueux, les cariatides et autres atlantes, les cornes d'abondance... et bien entendu, le lion pour compléter la luxuriante décoration...
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Dans toutes ces décorations, se multiplient les références bibliques servant à l’explication de l’usage du bâtiment (Midas sur la Vieille Bourse de Lille) et mythologiques, références mises en avant dans la Renaissance italienne...
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A cela rien d’étonnant, on se place dans un mouvement général en EUROPE de redécouverte de l’antiquité classique et des canons esthétiques romains.
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L’influence italienne se fait aussi sentir dans le domaine militaire
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Les villes se transforment profondément avec la réponse à l’artillerie :si elles s’enserrent depuis longtemps dans des remparts, ceux-ci sont inadaptés à l’artillerie. La Balistique moderne importée en Flandre par les Bourguignons avec des artilleurs italiens nécessite de recevoir une réponse adaptée. Or, les Bourguignons, puis Charles Quint comme les rois d’Espagne font appel aux poliorcètes italiens (comme Olgiati à Gravelines) afin de protéger les villes.
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Exit les murailles verticales et les tours semi-circulaires qui ne persistent que lorsqu’elles ne sont pas en position stratégique: place aux bastions, courtines et ravelins. Les architectes italiens transforment les villes en dérasant les tours, multipliant les défenses, élargissant considérablement les périmètres urbains.
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IV. De l’influence de la contre-réforme
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C’est sans conteste ici que les échanges italo-flamands sont les plus significatifs.
La Flandre, terre de chrétienté mais fief des protestants. Les églises sont des lieux de vie, pas que de culte…
De plus, les églises sont depuis le Moyen-âge des catéchismes de pierre aussi sont elles le meilleur moyen pour la propagation de la Contre-Réforme menée notamment par les Jésuites.
Or, leur programme architectural est dans contexte contenu dans la façade de San gesu à Rome, leur première maison romaine, façade dont on retrouve les grandes lignes au Mont de Piété de Bergues. Les architectes Jésuites ou formés par leurs soins reprennent systématiquement les mêmes formules. Ainsi se multiplient les pignons à volutes et les coupoles. D’ailleurs, ce style se perpétue avec les Français puisque la chapelle de la citadelle de Lille est typiquement jésuite (comme celle de la citadelle d’Arras), que l’église saint-Etienne (nouvelle paroisse construite après le bombardement de 1708) affiche les même courbes.
Néanmoins, on notera que les batiments, même sous influence italianisante, brisent la verticalité par l’adjonction d’un bandeau horizontal qui finalement disparaît avec l’apparition du style français, quoique cette disparition soit tout à fait relative quand on regarde l’Hospice Général sur le canal de la Basse Deûle.
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Côté ornementation mobilière, les églises ne sont pas en reste :
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La contre-réforme est un moyen de propagande extraordinaire car peu de pans de la vie quotidienne échappent à la présence de l’Eglise.
Ainsi les retables se chargent au dessus des autels romains de colonnes, de statues aux drapés extravagants, de symboles christiques très développés, privilégiant d’ailleurs la représentation réelle au détriment du symbolisme médiéval.
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Il est d’ailleurs assez amusant de constater que nombre d’églises coiffent leurs retables de représentations humaines de Dieu, en dépit des commandements du Décalogue… La foi a besoin de supports. D’ailleurs, quel meilleur support que les tableaux des retables que les primitifs flamands comme les peintres italiens placent à la vue des fidèles. D’ailleurs l’exubérance des retables n’est pas sans rappeler celles des bahuts flamands.
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V. UNE LENTE TRANSITION
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Quatre monuments de transition permettent de constater ces évolutions architecturales.
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En Flandre, à Hazebrouck, le collège des Augustins accuse encore un aspect médiéval dans son aile gauche de 1518 et ses trois belles niches gothiques en son centre, mais l'année 1616 voit apparaître sur l'aile droite volutes, cartouches et rinceaux.
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Le Landshuys de Cassel compte des fenêtres ogivales au rez-de-chaussée mais s'orne de colonnes à la porte d'entrée et d'un modillon Renaissance à la corniche. L’Hôtel de la Noble cour reste une synthèse plus italianisante que flamande avec sa façade encadrées de pignons et sa toiture portant lucarnes.
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A Aire-sur-la-Lys, le bailliage s’orne d’un balcon et surtout de riches entrelacs et de rosaces.
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L'Hôtel de ville d'Hondschoote, de 1558, présente simultanément les caractéristiques du gothique et de la renaissance avec ses pignons à degrés, sa porte en arc surbaissée à crosses végétales, ses baies à meneaux, ses moulures, sa tourelle surmontée d'un toit à bulbe et l'inévitable alternance de briques et pierres sur sa façade arrière.
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Deux monuments emblématiques symbolisent parfaitement cette nouvelle mode : la Vieille bourse de Lille et le Mont-de-Piété de Bergues…
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La vieille Bourse de Lille
A partir des années 1640, se diffuse à Lille comme dans tous les Pays-Bas, du Nord comme du Sud, le recueil de meubles du maître hollandais Krispijn Van Den Passe, dont s'inspirèrent tous les escrigniers flamands de l'époque.

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Julien Destrée, présenté comme le promoteur du baroque décoratif flamand à Lille, avait été lui-même escrignier, ce qui explique que la Bourse, commandée en 1652 sur ordre de Philippe IV d'Espagne, comte de Flandre, fut un fabuleux bahut flamand posé sur la Grand-Place. Maniéristes ou baroques sont les quatre portes saillantes des quatre façades, la scansion répétée à l'extrême des baies du rez-de-chaussée et la colonnade de la cour intérieure. Plus classique, l'emploi des ordres, le soubassement à bossages et l'ordonnance générale du bâtiment.
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Bien typique de la Renaissance flamande du XVII° siècle sont ses lignes horizontales barrant la verticalité, l'emploi de la brique rouge, de la pierre de taille blanche et du grès, les lucarnes, le campanile, les cornes d'abondance, les cariatides gainées et fortement expressives par opposition à leurs homologues italiennes, les têtes de léopards, les ogives et les guirlandes de fleurs, les têtes humaines de tous les âges, charmantes ou hilarantes selon les cas.
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Le mont de piété de Bergues
Construit en 1629, il totalement est italianisant: la façade, où l'horizontalité l'emporte sur la verticalité, est divisée par des cordons et les fenêtres, bien encadrées, ne présentent pas de croisillon et sont séparées par de larges trumeaux et surmontées de frontons; le haut pignon présente une ornementation exubérante avec de nombreuses niches et cartouches en placage.
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C'est ici la patte de Wenceslas Coebergher (1560-1634) qui a fait édifier entre 1619 et 1633 une vingtaine de Monts-de-Piété pour lesquels l’influence italienne est flagrante. Ce même Coebergher qui est un exemple typique de la synthèse entre les deux civilisations puisqu'il s'inspire très largement de l'église San Gesu de Rome...
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L’influence italienne peut de même éclipser l’aspect local :
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- La débauche des sculptures de l’Hotel de ville arrageois lorsque le bâtiment est renforcé d’une aile renaissance en 1572 alors qu’au XVIIe siècle sont élevées les maisons à pignons de grès et arcatures des deux places.
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- L'exubérance de l'abbaye de Saint-Amand dont la tour est élevée entre 1626 et 1640 est elle tout à fait baroque, haute de plus de 80 mètres, elle est surmontée d’un dôme octogonal divisé en 5 étages et surchargée de courbes, volutes et placages nombreux.
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- Dans un même ordre d’idée, la porterie de la même abbaye est caractéristique de la surcharge baroque, alourdie par des colonnes toscanes pourtant fines.
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En guise de conclusion, le style italo-flamand a survécu aux siècles français puisque c’est par des architectes comme Cordonnier qu’il est remis à l’honneur. Un regard au beffroi de Dunkerque, mais aussi à celui de la nouvelle bourse de Lille ou à l’ancienne poste de Dunkerque permet de s’en convaincre aussi facilement qu’une déambulation dans Bailleul…

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