dimanche 12 octobre 2008

L'archéologie régionale fait son trou

Il était une fois une cité gallo-romaine à deux pas de Valenciennes et pas très loin de Bagacum (Bavay). Date de naissance : vers l'an 50. Date de déclin : vers 320. Pour mieux comprendre cette histoire vraie, les archéologues sont au travail à Famars depuis avril.
Un trésor de 134 pièces planqué au fond d'un pot. Un squelette recroquevillé au fond d'une cave. Ce ne sont pas les ingrédients d'un polar mais les trouvailles les plus insolites faites ces dernières semaines à Famars, sur le site de ce qui fut une cité antique.



Ici, c'est l'aménagement d'un futur lotissement qui a tout déclenché. La loi sur l'archéologie préventive impose désormais que les spécialistes de l'histoire auscultent le terrain avant les professionnels du bâtiment et des travaux publics.
Sur ce site exploré une première fois dès 1655, les archéologues de l'INRAP ont donc chaussé leurs bottes (dix orages ont compliqué leur tâche cet été) et retroussé leurs manches.


Sous la couche de terre végétale décapée - les engins ont enlevé entre 40 cm et 1,50 m suivant les lieux - le sous-sol n'a pas tardé à parler. Et pourtant, on ne fouille que quatre hectares sur les quatre-vingts qu'occupait la ville.
Sur ce terrain en pente douce, la vie s'organisait sur la rive de la Rhônelle. Ce qui n'est plus aujourd'hui qu'un gros ruisseau correspondait à une rivière de trente mètres de large, navigable. Une voie royale pour communiquer et commercer.


Sabordage
Les archéologues ont retrouvé les traces d'une dizaine de bâtiments, d'une place, d'un aqueduc avec ses dérivations, de thermes, les restes d'un temple sur son podium hexagonal....
On sait aussi que la ville de plusieurs milliers d'habitants disposait d'un théâtre. Mais il est localisé sous trois pavillons d'un lotissement déjà construit au siècle dernier. Trop tard !
Retour en arrière : vers 320, les habitants de Fanum Martis (aujourd'hui Famars) démontent pratiquement pierre par pierre leur cité. Étonnant sabordage.
Ils récupèrent le marbre, la craie, le calcaire, la pierre bleue de Tournai pour alimenter quatre fours et produire la chaux destinée à la construction d'une forteresse, leur castrum, sans doute pour tenter de se protéger d'envahisseurs.
«C'est un phénomène général, à cette époque, de nombreuses cités gallo-romaines se rétractent», explique Raphaël Clotuche, le responsable des fouilles.
«Dans quatre bâtiments, on a retrouvé des objets cultuels», poursuit l'archéologue. Les éléments découverts sur place révèlent des cultes dédiés à Mercure, Mithra, Attis et Cybèle. La cité du Nord se trouvait donc sous l'influence de cultes orientaux.
On sait aussi que la cité a été victime d'un incendie général vers l'an 150. D'autres spécialistes vont prendre le relais des archéologues. Ils se pencheront par exemple sur les restes de grains brûlés soigneusement récupérés pour tenter de déterminer de quelles céréales il s'agissait.


Énigmes
Pour les 134 pièces de bronze de la fin du IIe siècle, cachées dans un pot pendant des siècles avant d'être heurtées par une pelle mécanique, c'est un numismate qui étudiera ce trésor rangé provisoirement dans un Tupperware.
Et puis il y a ce squelette enseveli dans une cave. Étrange à une époque où l'on pratiquait le respect des morts en les plaçant dans des sépultures hors des villes. Jennifer, une archéologue, dégage précautionneusement avec un outil de dentiste ce défunt bien conservé mais au crâne en trois morceaux. Il sera étudié par un anthropologue.
À Famars, on a aussi trouvé des petits lingots de bronze et un fragment d'ivoire. À l'évidence la cité antique n'a pas livré tous ses mystères. •

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Le sous-sol du Nord - Pas-de-Calais conserve encore bien des secrets

Conservateur régional de l'archéologie, Gérard Fosse souligne le potentiel important du Nord - Pas-de-Calais. Quatre cents archéologues travaillent dans la région.


- Que représente le Nord - Pas-de-Calais sur le plan de l'archéologie ?

«C'est une région qui a un très fort potentiel. Les sols sont fertiles, c'est un territoire plat, facilement accessible qui est très tôt devenu une région de passage entre le bassin parisien et le nord de l'Europe pendant des dizaines de milliers d'années. C'est avec la Picardie le secteur où l'on trouve le plus de sites du paléolithique moyen, entre 100 000 et 200 000 ans. Toutes époques confondues, lors d'un diagnostic sur l'emprise d'une future route par exemple, statistiquement, on sait que l'on trouvera un site tous les deux kilomètres.»

- Quelle est l'activité menée par les archéologues dans la région ?
«La loi sur l'archéologie préventive de 2001 nous permet d'intervenir avant le lancement des travaux. Toutes les communes de la région ont été "zonées". Les maires ont été sensibilisés. Mais l'intervention n'est pas systématique. Pour 5 608 dossiers d'aménagement et d'urbanisme déposés l'an dernier dans la région, l'État a prescrit 328 diagnostics et 48 fouilles. Nous avons réalisé 254 diagnostics et 28 fouilles préventives, ce qui correspond aux possibilités régionales actuelles.»

- Comment passe-t-on du diagnostic à la fouille ?
«Le diagnostic consiste à faire des tranchées de deux mètres de large tous les vingt mètres. On sonde en fait 10 % de la surface concernée. Si l'opération est négative, on laisse tomber. On peut aussi trouver des vestiges mais juger qu'une fouille préventive serait disproportionnée. Dans la troisième hypothèse on fait une fouille mais il y a parfois une insuffisance de moyens. La durée moyenne d'une fouille, c'est trois ou quatre mois pour cinq à huit personnes. Nous avons actuellement une soixantaine de fouilles prescrites qui attendent un début d'exécution.»

- La recherche archéologique est-elle une préoccupation récente ?
«Pas vraiment. La France s'est dotée dès 1941 d'une réglementation. En 1945, c'est un sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, un certain François Mitterrand, qui l'a mise en application. Les textes prévoient par exemple que toute découverte fortuite doit être déclarée au maire de la commune.»

- Quelle est la trace la plus ancienne d'êtres humains dans la région ?
«On a beaucoup parlé de l'homme de Biache qui a 200 000 ou 250 000 ans mais sur le site de la pointe aux Oies à Wimereux, on a trouvé des morceaux de silex taillés intentionnellement qui pourraient dater de 500 000 ans. Par comparaison, en Auvergne, on a des traces d'un million d'années et en Afrique de 1,5 à 2 millions d'années.»

- Quel est le sort réservé aux objets trouvés ?
«L'État en possède la moitié et le propriétaire l'autre moitié qu'il abandonne d'ailleurs souvent à l'État. Les pièces trouvées n'ont souvent une valeur marchande qu'après une restauration coûteuse. Dans le Boulonnais, sur une petite nécropole, des ferrailleurs ont trouvé un tas de rouille et de sédiments. Après travail en laboratoire, c'était un seau cerclé de fer avec de la verrerie datant du VIe siècle. Le travail de restauration a coûté 10 000 €.»
PROPOS RECUEILLIS PAR D. S.

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Canal Seine-Nord : des fouilles grand format

Le chantier du futur canal à grand gabarit Seine-Nord va être précédé par une campagne de diagnostic et de fouilles archéologiques de grande ampleur.
La construction du canal Seine-Nord s'annonce, sinon comme le chantier du siècle, au moins comme celui de la prochaine décennie. Mais avant le premier coup de bulldozer, le «couloir» que va emprunter le futur canal sur une centaine de kilomètres, entre Compiègne et Aubencheul-au-Bac près de Cambrai, va faire l'objet d'une campagne de fouilles pratiquement sans précédent.


Les premières opérations viennent d'ailleurs de commencer sur le territoire d'Oisy-le-Verger dans le Pas-de-Calais.
La première phase, celle du diagnostic, est entamée par trois pelles mécaniques qui effectuent des tranchées parallèles dans un corridor d'une centaine de mètres de large correspondant à l'emprise du futur canal.
Le premier kilomètre de ce travail de détection a déjà permis de tomber sur un site du Haut Moyen Âge. « C'est un petit site, il ne donnera pas forcément lieu à des fouilles plus poussées mais on s'attend statistiquement à tomber sur un site tous les deux ou trois kilomètres», explique Gérard Fosse, conservateur régional de l'archéologie.
Les premiers diagnostics ont démarré au nord du tracé car les négociations pour les expropriations avec les agriculteurs sont toujours en cours en Picardie.
C'est néanmoins dans ce secteur que les archéologues s'attendent à avoir le plus de travail. La Picardie est en effet considérée comme «le berceau de la France», un territoire très riche en traces d'occupation. On en saura davantage l'été prochain, à la fin des diagnostics, mais les spécialistes savent déjà qu'ils ne rentreront pas bredouilles de cette campagne.

Articles in LA VOIX DU NORD, édition régionale du 12 octobre 2008

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