vendredi 25 juillet 2008

Les héros de l'Yser à Paris

de la revue ‘La France Illustrée’ N 2142 de 18 décembre 1915
par H.L.

Les dames aux poms-poms rouges

C'était une dette de reconnaissance que la France payait mercredi aux fusiliers marins, qui traversaient Paris, pour rejoindre leurs dépôts, et que la foule accueillait par ses acclamations.

Une émouvante revue eut lieu à neuf heures du matin, dans la caserne de la Pépinière. L'amiral Lacaze, ministre de la Marine, décora de la croix de guerre un grand nombre de ces braves, et, après avoir félicité tous les fusiliers marins de leur héroïsme, il donna l'accolade à leur commandant, l'amiral Ronarc'h.

A 10 heures, une messe à laquelle assistèrent les soldats que le ministre venait de passer en revue et d'entretenir familièrement, fut célébrée à l'église Saint-Augustin, à la mémoire des officiers et des soldats de la brigade des fusiliers marins morts au champ d'honneur.

Au premier rang des assistants se trouvaient l'amiral Ronarc'h, les capitaines de vaisseau l'aillet et Delage, une foule d'officiers, de marias et de parents de soldats tués sur les champs de bataille de l'Yser.

L'officiant était l'aumônier du bataillon des fusiliers marins, l'abbé Touchard, qui avait reçu des mains de l'amiral Lacaze, dans la cour de la Pépinière, la Croix de guerre si dignement gagnée depuis le début de la campagne. La messe était servie par deux officiers, un lieutenant de vaisseau blessé et un commissaire de la marine.

L'absoute fut donnée sur le pavillon tricolore qui servit à couvrir les corps des fusiliers marins, devant les lignes de l'Yser.

M. l'aumônier Touchard prononça, en chaire, une allocution patriotique.

Les fusiliers marins se répandirent ensuite dans Paris où la foule les fêta, les acclama et même leur jeta des fleurs.

Le lendemain matin, ils repartaient et se rendaient aux gares, le sac au dos et la longue miche de pain sur le sac.

Ces soldats qui passaient ainsi, alertes et gais, simples et bons enfants, — Paris ni la France ne s'y sont pas trompés, dans leurs acclamations, — ce sont des soldats d'épopée.
Et, toujours modestes et humbles, ces héros vont reprendre dans les ports de France la vie laborieuse et hasardeuse qui élève, au péril de la mer, les familles peuplées d'enfants, gloire de nos côtes et espoir de l'avenir.
C. B.


A la Gloire des Héroiques Fusiliers Marins!
Un des leurs par la bravoure et par le cœur.

Quand, pour compléter le beau livre de Dixmude, de Charles Le Goffic, on écrira le Livre d'Or de la brigade des fusiliers marins, de cette brigade héroïque qui vient d'être dissoute, parce que le service à la mer réclame tous ses hommes, que de noms connus et inconnus se presseront sous la plume de celui qui essaiera de faire revivre l'héroïsme de ces victimes du Devoir, de ces martyrs de la religion de l'Honneur!

Ces noms, pourra-t-on même les donner tous? Il en est, du moins, qui ne devront pas être omis, car s'il n'est pas besoin de savoir comment s'appelait chacun de ceux qui écrivirent les pages immortelles de la défense de la Belgique, et qui sont restés sur cet immense champ de mort et de gloire, il en est certains, qui, symbilisant particulièrement toute la beauté, toute la générosité des sacrifices, toute la grandeur des actes de dévouement restés inconnus, méritent, par cela même et pour cela même, de sortir de l'ombre qui enveloppe leur vaillance, afin que la lumière faite sur eux rejaillisse sur la collectivité de leurs frères ignorés.

De ce nombre est Maurice Faivre, dont tous ceux qui l'ont connu et qui l'ont aimé porteront ce témoignage qu'il fut aussi courageux que modeste, aussi gai que sérieux dans l'accomplissement du devoir, aussi plein de belle énergie que de sensibilité délicate, aussi épris de l'action militaire que de l'apostolat de la bonté.
Libéré de son engagement dans les Équipages de la flotte, qu'il avait contracté avec l'intention d'entrer, en souvenir de son père, dans le Commissariat de la Marine, une fois ses études de droit terminées, Maurice Faivre reprit avec joie, à la mobilisation, le col bleu de matelot dont il était si fier, et qu'il portait si crânement.

Il ne tarda pas à être versé dans la brigade des fusiliers marins qui était appelée à voler au secours de la malheureuse Belgique. Sa place était marquée d'avance parmi les terribles demoiselles au pompon rouge, parmi ces futurs élus de la gloire, que le généralissime et le ministre de la marine ont si justement glorifiés, à leur retour du front.

Quand il partit, quelque chose de plein et de fécond, dilatait son cœur. Un sang joyeux et fier battait dans ses veines. Sa belle humeur, sa gaietérayonnaientde ses yeux et de ses gestes mêmes. Et sur la route d'Anvers, dans une de ses premières lettres à sa mère, de ces lettres où devait s'épancher désormais toute la tendresse dont son cœur surabondait pour elle et qui jaillissait toujours de ces premiers mots: «Maman chérie!» pour mieux rassurer celle qui cachait, en les dévorant, ses angoisses maternelles, il dessinait un petit marin portant sur sa poitrine une énorme croix d'honneur, avec au-dessous cette légende: «Maurice s'en va-t-en guerre. Voilà comme il r'viendra!»

Pour bien marquer son état d'esprit et celui de ses camarades sous le feu, il écrira un peu plus tard: «On entend le canon sans discontinuer; cela nous rend tous pompette!»

Cette gaieté de Maurice Faivre, qui est notre plus jolie forme de courage à nous Français, et qui fera l'admiration de ses chefs, elle sera inlassable pendant toute la campagne. Elle résistera aussi bien à ce qui endolorit la chair qu'à ce qui assombrit l'âme, aux marches harassantes dans la boue et dans la neige, aux morsures du froid, aux ébranlements physiques que provoquent les explosions des obus, «qui vous secouent dans la tranchée comme sur un bateau», aux déluges de pluie qui «transforment la paille, vous servant de lit, en un fumier glacial», à l'atroce invasion de la vermine qui soulève le cœur de dégoût, au spectacle effroyable des cadavres restant des jours entiers inensevelis, à la hantise du souvenir des champs de carnage et des cris déchirants des blessés qui, longtemps après, retentissent encore, la nuit, à vos oreilles.

A certains jours peut-être l'excès de la souffrance physique et morale laissera échapper, dans les lettres de ce vaillant, une sorte d'appel secret et douloureux? la tendresse maternelle. Mais comme il sera passager cet appel, et comme bientôt reprendra le ton enjoué de sa correspondance, pour assurer sa mère de sa sérénité!

De Loo, presqu'au lendemain des journées de Dixmude, Maurice écrira qu'il a passé une après-midi à jouer du piano chez l'instituteur: «J'ai eu le plaisir d'entendre sa tille — de 14 ans vieille, comme dit le général French — jouer en artiste du Chopin et du Grieg, avec au loin, à l'horizon, quelques obus donnant l'accord.»

Et ceci, le jour du mardi gras: «L'uniforme fait fureur; on croirait à la guerre. Tout le monde est déguisé en militaire. Les Boches nous lancent des confetti; mais nous, nous les faisons danser.»

Quand le printemps revient, son âme poétique oublie plus que jamais les horreurs de la guerre: «Il fait beau, le ciel nous protège, et le soleil est notre invité.» Et un jour, en allant au feu, il trouva le temps de cueillir ces impressions si joliment nuancées: «Les dunes sont mauves sous le soleil couchant, et le calme est... précurseur de l'orage... Des champs couverts de fleurs de colza sous le blanc des shrapnells, avec les tètes à pompons rouges courant dans les fleurs... nous étions tous fleuris, en arrivant après une heure de course aux tranchées de réserve... Ici, toute la tendresse de votre Mau, et la fleur cueillie au vol, et qui était à mon bonnet.»

De la vaillance de Maurice Faivre et de son sang-froid, je ne citerai que ce trait entre tant d'autres. Dans une attaque, sa compagnie est décimée par l'ennemi. Officiers et gradés sont tués ou blessés. Il reste bientôt seul avec quelques camarades qui s'abritent derrière une haie. En courant, il va demander du renfort, et revient aussitôt prendre le commandement de ses compagnons. Mais bientôt, ils ne sont plus que deux, les Boches arrivent en rampant. Alors, pour donner l'iîlusion du nombre, Maurice et son camarade tirent des feux de salve, en courant à toute vitesse derrière la haie, les Boches s'arrêtent et rebroussent chemin. Une escouade de renfort arrive enfin: les deux héros restaient maîtres de la place et étaient sauvés. Un petit marin, qui racontera plus tard cette scène à la mère de Maurice, trouvera, pour lui marquer toute son admiration pour son fils, ces mots naïfs et simples: «Ah! il est glorieux, allez., madame!»

Si Maurice Faivre se plaisait dans l'intimité de ses chefs, où son éducation, son instruction et son entrain juvénile n'avaient pas tardé à le faire entrer, il n'en restait pas moins étroitement mêlé à la vie de ses camarades, éprouvant une véritable joie à se rapprocher des simples, et surtout de ceux dont il devinait la détresse morale, cherchant par tous les moyens à leur venir en aide, provoquant pour cela leurs confidences, partageant avec eux tous les envois maternels: «Mes paquets - écrit-il à sa mère — font la joie de l'escouade, et vos lettres, celle de votre fils.»

Nommé quartier-maitre fourrier sur le champ de bataille dans les premiers jours de janvier I9I5, en même temps qu'il était proposé pour la médaille militaire, décoré enfin de la Croix de guerre, après avoir affronté vingt fois la mort avec une magnifique insouciance, Maurice avait compris que celle-ci, si elle était offerte pour le plus parfait accomplissement du devoir, était l'acte suprême de la vie. Il le disait à son second père, dans une des visites si affectueuses que celui-ci lui faisait parfois au front, et qui étaient une de ses grandes joies. Il l'écrivait à un de ses amis, en ajoutant qu'il savait à présent le sens de la vie, et que, «cette lumière, qui désormais éclairait son chemin, s'appelait l’espoir en Dieu!» Le i3 octobre, au matin, dans une des rues de Nieuport, un éclat d'obus le frappait à la tempe, au moment où il rentrait des tranchées. Il mourut sur le coup. Son corps fut relevé et bénit par l'aumônier du régiment. Dieu, pour son beau courage, son exquise bonté, sa grande confiance en lui, lui épargnait non seulement les souffrances physiques de l'agonie, mais encore les cruels déchirements d'un coeur aussi aimant que le sien.

Sa dernière pensée vola, comme un éclair, vers ceux dont il était la force rayonnante, vers Celle surtout que quelques jours auparavant il recommandait à l'une de ses cousines, en lui disant: «N'oublie pas que maman est tout ce qui m'est le plus cher, qu'elle sera horriblement malheureuse, si je tombe... Entourez-la toujours!»

Arrière-petit-fils du général Laidet, petit-fils du général Faivre, neveu du colonel Wilfrid Faivre, tombé lui aussi glorieusement à l'ennemi, et digne jusqu'au bout de sa noble lignée, Maurice Faivre repose maintenant dans le petit cimetière de Nieuport où il fut pieusement déposé, un soir, par ses camarades et ses chefs en larmes, où il eut l'enterrement de soldat qu'il pouvait souhaiter avec les obus allemands tombant autour de son cortège et illuminant par instants la ville plongée dans les ténèbres, où sa tombe est restée, jusqu'à leur départ, un lieu de pèlerinage pour tous ceux à qui il fut si secourable. On le ramènera, un jour, dans un coin de Bretagne qu'il affectionnait particulièrement. Là, viendront s'agenouiller et prier ceux qui, en le perdant ont touché subitement le fond de la douleur humaine, mais que le souvenir de sa bravoure, de sa générosité et de son sacrifice consolera, fortifiera et suivra fièrement dans la vie...

Pour moi, je puis bien le dire, en tombant au Champ d'honneur si jeune et déjà auréolé de toutes les vertus militaires et chrétiennes, Maurice Faivre, comme tant d'autres de ses frères d'armes, morts pour la patrie, à la fleur de l'âge, m'a fait songer à ce que Noël Péri a écrit si poétiquement du soldat japonais et de l'emblème de son âme, la fleur du cerisier: «Sous la caresse impérieuse du soleil de printemps, la fleur du cerisier sauvage, qui n'admet sur sa pure blancheur aucune teinte étrangère, brise son enveloppe, s'ouvre toute claire dans la lumière, écarte peu à peu ses pétales, en agrandit toujours davantage le cercle gracieux et d'un suprême effort vers encore plus de beauté, s'arrache de sa tige et tombe, laissant l'arbre déjà revêtu de sa parure d'été; elle tombe lentement, d'une chute de neige que le vent incline et adoucit... A terre, étoilant la poussière à laquelle elle va retourner, cette neige odorante reste encore belle et immaculée, à côté de la masse pourrissant déjà des fleurs pourtant si brillantes du camélia, tombées en même temps qu'elles. Le guerrier japonais en a fait le symbole de son idéal. Il voulait vivre une vie d'honneur, sans tache ni ombre, lui aussi, dût-elle en être abrégée; il voulait surtout tomber sans que rien ternît son nom, d'une chute éclatante et glorieuse, afin que son souvenir demeurât immaculé parmi les siens.»

N'est-ce pas là la vie voulue et vécue en si peu de jours par Maurice Faivre; et sa mère, comme toutes les mères des marins glorieusement tombés dans les plaines de l'Yser, qui conserveront cette image de leur fils enseveli dans les blancheurs d'un magnifique idéal blancheurs pleines de deuil sans doute, mais pleines aussi de résurrection, ne devront-elles pas sentir les flammes de leur sacrifice rayonner en se purifiant et en s'adoucissant? Je le souhaite et je l'espère.

H. L.

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