samedi 19 juillet 2008

'Ce que fut le Role de la "Lillerkriegszeitung”

de la revue "le Miroir" no. 304 de dimanche 21 septembre 1919

du Correspondant Spécial du "Miroir", à Lille
Albin Gouirand

Lille, comme Les Ardennes, eut sa "Gazette”

Quelques souvenirs sur Hœcker Paul Askar, son rédacteur en chef

Pendant les quatre années d'occupation, les Lillois eurent leur gazette à eux. qui n'avait rien de commun avec celle des Ardennes. Cette gazette avait pour titre: la Lillerkriegszeitung. Elle avait un tirage assez important et était très connue dans tout le Nord. C'était un organe de «bourrage de crane» à forte dose.

Cette feuille avait installé son siège dans les vastes et confortables locaux du principal journal de Lille: l’Echo du Nord. Il avait pour rédacteur en chef un hauptmann de réserve nommé Hoecker Paul Askar. Ce personnage était d'un sectarisme outrancier. Il exerçait son autorité en despote sur ses collaborateurs allemands. Je dis collaborateurs allemands, car, malgré ses investigations, il ne put trouver un concours parmi les Français restés captifs. Pourtant, il y avait, parmi ces Français captifs, un certain nombre de journalistes. Mais, ceux-ci, pour ne point être sollicités ou plutôt forcés à collaborer avec Hoecker Paul Askar ne donnèrent point leur véritable profession.

La Lillerkriegszeitung n'eut pas grand mal à s'organiser. Elle avait à sa disposition toutes les machines, tout l'outillage perfectionné de l’Echo du Nord. La feuille allemande recevait, naturellement, toutes les dépêches de l'agence Wolff. On sait comment cette agence s'entendait à farder la vérité.

Souvent, ce premier maquillage des nouvelles ne suffisait pas. A la rédaction de la Lillerkriegszeitung on se chargeait d'accentuer encore la note mensongère. C'était Hœcker qui donnait le ton.

Certes, ce maquillage insensé n'est point une fable. Il a été affirmé par des témoins, notamment par des soldats alsaciens qui, servant dans l'armée ennemie et se trouvant à Lille, furent employés à l'imprimerie.

Ce rédacteur en chef était une ligure curieuse quoique dépourvue d'originalité. Il affectait parfois un ton badin et bon enfant lorsqu'il parlait de ses projets d'après- guerre. Il continuerait, disait-il, ses fonctions à Lille même, et, dans son esprit, en vérité un peu simpliste, il imaginait que la Lillerkriegszeitung serait pour la région du Nord un puissant organe d'information. Or, ce qu'il y avait de plus comique, c'est que les soldats prenaient pour argent comptant toutes les sornettes contenues dans cette feuille: les avances de l'armée allemande étaient multipliées par dix; celles les armées françaises étaient réduites d'autant. En outre, le recul forcé des troupes allemandes était toujours qualifié de stratégique.

La lecture de cette gazette, me racontait un Lillois, qui vécut dans sa ville les quatre années de l'occupation, m'a valu de pouvoir passer quelques bons moments. J'ai souvent bien ri sous cape. Nous connaissions, en effet, parfois, par des postes de T. S. F. installés à l'insu des Allemands, les événements du front tels qu'ils se passaient. Leur compte rendu dans la Lillerkriegszeitung était follement amusant.

Rassurez-vous, me disait ce même Lillois, la feuille boche n'a pas fait ici beaucoup de mal. Personne ne mordait à l'hameçon de ses boniments. Ses exagérations étaient connues. Si ce journal avait été lu en France libre, on l'aurait considéré comme lourdement humoristique. Et, vraiment, pour nous, captifs, c'était un spectacle fort amusant que celui de voir tous ces soudards avaler sans sourciller, derrière leurs grosses lunettes rondes tous les canards que leur servait le hauptmann Hoecker.

Hoecker était, paraît-il, un journaliste baron. En tout cas, dans l'armée allemande, dont il était un vieux parmi les vieux, il avait, grade de capitaine. On lui avait donné la Croix de fer, Mais, comme son âge le laissait un peu décrépit, ou l'avait hissé à la fonction de rédacteur en chef de la Lillerkriegszeitung.

On dit de lui qu'il était brutal et tracassier et que sa mauvaise humeur s'exerçait surtout lorsque Wolff lui transmettait des nouvelles ayant simplement un caractère amorphe. Hœcker vivait confiné dans son journal. C'était un Teuton dans toute l'acception du mot. Il en avait la morgue et l'esprit lourd.

Certes, si ces lignes tombent sous 'es veux de mon indésirable confrère, il songera avec quelque amertume que son rôle n'a point servi à grand'chose et que les Lillois n'ont pas été dupes de ses exagérations.

Peut-être aussi, songeant au beau rêve qu'il avait fait de rester dans Lille, devenu allemand, le sire Hœcker méditera-t-il sur la fragilité de son projet mort-né!

Albin Gouirand

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