vendredi 7 décembre 2007

L'empreinte de Vauban

Difficile d’imaginer les villes du Grand Siècle : closes de murailles, cernées de fossés remplis d’eau, entourées de vastes glacis herbeux vierges de construction.

La ville est un monde bigarré où les styles se mélangent : monuments exubérants, églises contre lesquelles se pressent maisons et cimetières, cris des charretiers et des colporteurs, fracas du pas de la soldatesque sur le pavé… Les villes des Pays-Bas français attisent les convoitises car elles sont riches…et la richesse se protège.

Une histoire déjà ancienne
Les Pays-Bas méridionaux sont prospères car ils sont au carrefour des grandes routes commerciales.
Néanmoins, ils sont aussi sur les grands couloirs d’invasion : au IIIe siècle, les remparts naissent avec la fin de la Paix Romaine mais leur construction réduit considérablement la taille des villes et les monuments antiques disparaissent, démantelés au profit des murailles à qui ils servent de carrières comme l'on peut si bien le voir à Boulogne-sur-mer. Les villes romaines ne sont plus que des souvenirs qu'effacent les vents du temps.

Plus tard, les invasions normandes obligent à élever de nouvelles fortifications, le plus souvent de simples palissades de bois…

Durant le Moyen-âge, de hauts murs ceignent les villes importantes et les campagnes se couvrent de mottes castrales qui finissent de se coiffer de châteaux. L’art de la guerre devient une science à plus forte raison lorsque le canon se généralise au XVe siècle, puissant moyen pour assiéger des villes puissamment fortifiées. Avec la fin de l'artillerie nevrobalisitique au profit de la poudre, la guerre nécessite de faire appel à de vrais spécialistes qui prennent la place aux hommes madrés au feu...

Les murailles médiévales deviennent inefficaces voire dangereuses. Contre les bombardes et autres couleuvrines, la parade vient d’Italie : le bastion. Placé aux angles formés par deux murs, il forme une avancée qui réduit les possibilités d’approcher de la place. Des pièces d’artillerie coiffent leur sommet et l’on installe à leur pied des Bollwerke, des «boulevards d’artillerie» pour renforcer la défense des lieux. Au début, les bastions sont à oreillon (en forme d’oreille) puis prennent des formes rectilignes.

Pour protéger les Pays-Bas, les Bourguignons puis les Habsbourg sollicitent fortement les ingénieurs italiens. Les Français ne sont pas en reste : Errard de Bar-le-Duc transforme radicalement certaines villes et citadelles comme à Amiens, Doullens ou Calais. Pour protéger les courtines entre deux bastions, il élève des ravelins, ancêtres des demi-lunes. Petit à petit, les formes deviennent plus complexes, des éléments nouveaux apparaissent tels les couvre-faces pour protéger les bastions, les cornes (deux demi-lunes accolées au devant d'une courtine menacée), etc.

Les murs se font presque rasants et s’inclinent légèrement pour offrir plus de résistance aux impacts. L’ingénieur militaire se doit d’être audacieux pour contrer les artilleurs ennemis.


Quand Vauban se met à l’ouvrage !
Quand il arrive dans les fourgons de Louis XIV, Vauban ne trouve pas une région vierge de murailles, bien au contraire mais celles-ci sont dérisoires face au génie stratégique du jeune ingénieur militaire et aux exigences de la guerre moderne.

C’est qu’il s’y connaît, le bougre ! D’ailleurs, très vite l’on assure que «ville fortifiée par Vauban, ville imprenable ; ville assiégée par Vauban, ville prise».

Infatigable, il parcourt les régions conquises, fait lever des plans, se documente et entreprend une refonte générale des fortifications. Ses solutions sont souvent ingénieuses car la plupart des remparts qu’il inspecte s’avèrent de piètre qualité. Ainsi, Vauban créé peu de nouvelles fortifications mais il en remet à niveau un nombre si considérable qu’il modifie sensiblement le paysage urbain et leurs proches campagnes.

Il lui arrive même d’abattre des remparts comme à Armentières où les fortifications bastionnées sont de simples murs de terre, inutiles et trop proches de Lille, contrairement à celles de Condé-sur-l’Escaut qu’il fait entièrement recouvrir de pierre ou du fort d'Escarpe (ou de Scarpe) à Douai, qu'il fait habiller de briques, à contre-coeur, sur l'ordre de son roi.

Le premier bouleversement qu’apporte Vauban est l’extension considérable de l’emprise des villes. A l’intérieur des enceintes, les villes changent peu sauf sur la côte où il construit de vastes citernes qui captent l’eau de pluie des toits des églises voisines et où les ports deviennent de véritables forteresses. Dans les murailles elles-même, il fait percer de nouvelles portes qui rappellent que le nouveau maître est le roi de France…

Il faut surtout regarder au-delà du rempart. De nombreux châteaux ruraux sont abattus, leurs ruines servent de matériaux de construction. Ne restent plus en place que quelques fermes fortifiées et maisons fortes, sans grand intérêt stratégique excepté la protection des habitants contre les bandes armées.

Des transformations radicales
Les villes des Pays-bas devenus Français ne grandissent pas avec Vauban, elles s’élargissent. Elles dévorent les campagnes.

La défense des courtines entre les bastions est assurée par des tenailles et des demi-lunes, des cornes et des couvre-faces apparaissent çà et là, les chemins-couverts précèdent les glacis et permettent aux assiégés de circuler au-devant de leur muraille sans se faire voir, parfois on ajoute un avant-chemin couvert devant un glacis supplémentaire… Vauban ajoute des tenailles au devant des courtines, des murs dressés entre enceinte et demi-lunes qui permettent d’abriter les assiégés à l’abri et de compliquer la tâche des assaillants.

Mieux encore, à la citadelle de Lille, il perfectionne encore les demi-lunes en imbriquant dans chacune d’elle une autre plus petite. Cette dernière, le tambour, est encore un obstacle supplémentaire que les assaillants doivent absolument prendre pour garantir leur sécurité. Il devient de plus en plus délicat d’enlever de telles fortifications. D’ailleurs, la «Reine des Citadelles» ne tomba jamais.

Vauban démultiplie les défenses des villes. Les constructions sont interdites sur des vastes esplanades herbeuses en pente douce qui doivent obliger les batteries ennemies à se positionner à découvert et dont la pente les gêne pour régler la hausse des canons. Ces glacis deviennent rapidement des lieux de promenade pour le bourgeois le jour et la population interlope des villes la nuit.

Vauban s’inspire aussi de ses homologues hollandais qui usent de solutions efficaces et économes. Comme eux, il fait détourner des cours d’eau, installe barrages et étangs de retenue pour inonder durablement les approches des villes. Il ne s’agit pas de noyer l’ennemi (quoique…) mais de l’empêcher de s’installer, de creuser des tranchées d’approche ou des tunnels de sape sous les murs, encore moins de faire mouvement facilement.

Sur le littoral, l’eau des watergangs a le même rôle en ne l’évacuant pas vers la mer… Partout, Vauban veille à compliquer le siège en élevant près des villes des redoutes pour quelques hommes et des forts sur les canaux et confluents stratégiques. Enfin, il n’oublie pas l’aspect politique avec les nouvelles portes ouvertes qui sont autant d’arcs de triomphe en l’honneur du roi, ce qui n’interdit pas l’existence de poternes pour opérer des sorties discrètes.

L’âge des citadelles
Vauban édifie aussi des citadelles, totalement autonomes comme l'indique leur étymologie (cittadella en Italien veut dire petite ville), pourvues de greniers et de moulins, de poudrières, et surtout d’arbres pour se chauffer, faire cuire le pain (essentiel car il constitue la moitié de l’alimentation) et fabriquer gabions et fascines…
Elles servent surtout à regrouper les troupes et si les villes tombent, elles retardent encore l’ennemi en offrant une résistance acharnée comme Boufflers à Lille en 1708… Elle est enfin une garantie pour les soldats français face à une population – Dunkerque exceptée – qui les perçoit d’abord comme une force d’occupation.

Les citadelles prennent alors littéralement les villes en otage ce que Vauban concède bien volontiers. Parfois, certaines sont bâties contre son gré car inutiles et onéreuses comme le fort de Scarpe à Douai dont Louis XIV refuse à son ingénieur la destruction.

Finalement, Louis XIV par ses conquêtes et Vauban par ses chantiers ont créé une vraie frontière. Elle est homogène, cohérent et sans saillant ennemi pour l’interrompre et fortement signalée par les villes fortifiées remparts car, contrairement aux Alpes, seules des bornes signalent le changement de souveraineté.

Pari gagné !
Le sud des Pays-Bas est rapidement devenu le nord de la France. Louis XIV supprime les Salles et les châtellenies, institutions féodales médiévales et leur substitue les Généralités à la tête desquelles les Intendants de Justice, de police et de finances le représentent. L’acquisition de ces territoires est l’occasion d’une importante réforme administrative… et fiscale.

Vauban prit si bien la défense de ces nouveaux sujets qu’ils finissent par s’intégrer au-delà de toutes ses espérances en résistant vaillamment pendant la guerre de Succession d’Espagne. C’est qu’il plaida tant et si bien leur cause que Louis XIV autorisa le mariage d’officiers français avec des Flamandes et que les charges et emplois importants ne furent pas réservés aux seuls Français.

D’ailleurs, la frontière ne bougea pratiquement pas à la paix d’Utrecht en 1713, et servit de référence pour son rétablissement après 1815. Vauban avait accompli son œuvre et nul ne songea à demander le retour à la situation d’avant 1667, à part quelques villes de la première ligne de défense aujourd’hui belges …

Désormais, le royaume peut compter sur la fidélité indéfectible des Pays-Bas français.

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