samedi 15 décembre 2007

Bientôt le défoulement de masse... Pour ceux qui aiment le carnaval

Carnaval, temps de fêtes et de divertissements qui précède le Carême, commence le 6 janvier, jour de l'Épiphanie, et finit le mardi, veille du mercredi des Cendres.

L'étymologie de ce mot a donné lieu à mille controverses; les érudits n'ont pu se mettre d'accord sur sa signification. Les uns proposent carne vole ou carovale, les autres carne levamen (pour carnis levamen), d'autres carn avallare, d'autres carnalia, d'autres enfin carnis privium (jeûne partiel observé par les prêtres depuis la Sexagésime jusqu'au Carême). Mais, comme on l'a fait observer avec raison, aucune de ces étymologies n'est complètement satisfaisante et moins encore que les autres, celle qu'on admet communément (carne vale). Établie sur ce fait que le carnaval précède immédiatement le Carême, elle le présente comme un adieu à la chair. Cet adieu durant plus de deux mois, l'explication semble peu admissible. Si l'on n'est pas d'accord sur l'étymologie du carnaval, au moins l'est-on sur ses origines.

Il dérive directement des Saturnales, de l'ancienne Rome. Les analogies sont trop frappantes et la succession trop naturelle pour permettre là-dessus le moindre doute. Mais, d'une manière plus générale, on y retrouve les vestiges des fêtes religieuses que tous les peuples, depuis la plus haute antiquité, célébraient au commencement de chaque année nouvelle pour se la rendre favorable ou au printemps pour symboliser la renaissance de la nature. Rappelons, sans y insister, les fêtes des Babyloniens, celle des Égyptiens en l'honneur d'Isis, la fête des sorts des Hébreux; en Grèce et à Rome, perpétuant une tradition séculaire, les Bacchanales, les Saturnales, les Calendes de janvier, les Lupercales de février; toutes réjouissances qui consistent essentiellement en mascarades, travestissements, danses et festins et qui sont tellement implantées dans les moeurs à l'avènement du christianisme, que l'Église ne peut que les adopter en essayant de les sanctifier (Épiphanie, Purification, etc.).

Histoire du Carnaval en France.
Les Celtes avaient une grande fête d'hiver : la cueillette du gui. L'année nouvelle était proclamée par les Druides (Aguilaneuf). On promenait le taureau de Bel, on se masquait, on se déguisait avec des robes de femmes, des peaux de bêtes, des cornes d'urus et des têtes de génisses. Les Romains introduisirent leurs usages en Gaule où ils se mêlèrent aux usages locaux et aux usages chrétiens. La fête des Calendes de janvier (d'où sont venues les Étrennes) donnait lieu à des mascarades. Des bandes d'artisans, de soldats et d'enfants, déguisés en femmes, en boeufs et en cerfs, parcouraient les rues, escortant quelques chars allégoriques.

Durant tout le Moyen âge, c'est l'Église elle-même qui mène le carnaval. Les bizarres fêtes des Fous (de Noël à l'Épiphanie), et de l'Âne, celle des Innocents, la procession du Renard à Paris, celle du Hareng à Reims, auxquelles participaient prêtres et chanoines, n'étaient guère que des saturnales burlesques et obscènes qui se perpétuèrent en dépit des interdictions de plusieurs conciles (notamment celui d'Auxerre, 578) jusqu'au XVIe siècle.

Commencées aux derniers jours de décembre, les réjouissances populaires se prolongeaient sous divers noms presque jusqu'à Pâques. A la fête du Roi de la fève, succédaient celles des jours gras et de carême-prenant, celle des Brandons, celle de la mi-carême (Epiphanie, Carême).

Les jours gras.
Précédant immédiatement le mercredi des Cendres, les jours gras, le mardi gras surtout, furent à toutes les époques la période la plus joyeuse et la plus bruyante du carnaval. Alors seulement, on pouvait se masquer en plein jour, et le peuple usait largement d'un privilège réservé longtemps aux seuls gentilshommes.

Les divertissements carnavalesques n'ont jamais beaucoup varié. Repas solide où figurent comme pièce de résistance une oie ou un dindon, comme accessoires obligés les traditionnelles crêpes, larges beuveries, mascarades sillonnant les villes à grands fracas, bals échevelés; cavalcades et momons en plus pour les bourgeois et pour les nobles qui se distinguent par le luxe de leurs travestissements mais non par le raffinement de leurs plaisanteries.

Même le plus grand plaisir des princes est de se mêler au populaire. Henri III courait les rues de Paris, costumé en Pantalon vénitien et s'amusait fort à battre les passants et à jeter dans la boue les chaperons des femmes. On ne s'en étonnait guère; c'étaient les moeurs du temps.

Les vieilles femmes osaient à peine quitter leurs maisons de peur des attrapes du mardi gras. On plaquait sur leurs manteaux noirs des empreintes de craie figurant des rats et des souris, on attachait à leurs robes des torchons sales. Nous ne parlerons des obscénités étalées en public, et des facéties grasses, que pour rappeler qu'elles étaient un des traits les plus caractéristiques des saturnales. Les théâtres ont conservé longtemps la tradition de jouer les pièces les plus licencieuses dans les derniers jours du carnaval, et la Comédie-Française elle-même représentait le Don Japhet d'Arménie, de Scarron. Voilà, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le fonds commun des amusements des jours gras.

De cette époque à nos jours.
Il n'y a guère à noter que les bals masqués donnés dans les principaux théâtres de Paris et finalement à l'Opéra, les bals des Percherons, de la Courtille et autres guinguettes, les cavalcades, les promenades de chars allégoriques sur les grands boulevards, les mascarades politico-satiriques de certaines années (entre autres celles de 1499, de 1808, de 1831 à 1833, de 1836), les déguisements curieux que le crayon spirituel de Gavarni nous a conservés. Cependant, à la fin du XIXe siècle déjà, le mardi gras n'existait plus en France, sauf exception, que par convention.

Les sons rauques des cornes à bouquin, les fanfares de cors de chasse, quelques bals masqués, voilà tout ce qui restait du carnaval d'antan. On continua cependant de manger des crêpes, alors que le port des masques était désormais réservé aux seuls enfants.
Pour en terminer avec les jours gras, rappelons quelques curieux usages locaux qui pour la plupart ont complètement disparu.

A Paris et dans certaines villes de province, la promenade du Boeuf gras jouit longtemps d'une vogue extraordinaire. A Paris, toujours les momons firent rage, au XVIe siècle surtout. Les Arrets d'Amour (1540, plaidoyer XII) nous fournissent sur ce divertissement tous les détails désirables. Des troupes de masques,

«en robes retournées, barbouillez de farine ou charbon, faux visages de papier, portant argent à la mode ancienne»,

accompagnées de musiciens et de valets tenant des flambeaux, se présentaient dans toutes les maisons où l'on donnait soirée, y entraient sans autorisation, faisaient danser les demoiselles, offraient des dragées aux dames et proposaient des défis aux dés. De telles libertés choquaient fort les particuliers qui, n'osant pas résister ouvertement, à l'approche d'un momon

« éteignent leurs lumières, répondent qu'il n'y a personne, qu'on est couché, ou font sortir leurs femmes et leurs filles par l'huis de derrière».

Ces précautions n'évitaient pas toujours les injures, les querelles et les rixes; les valets des masques profitaient du tumulte pour voler, dévorer toutes les provisions de l'office et débaucher les chambrières. Si bien que le parlement, assailli de plaintes, dut à plusieurs reprises interdire la fabrication et la vente des masques. On se masquait encore pour jouer aux jeux de hasard.

Le jeu était d'ailleurs une des licences caractéristiques du carnaval. Il y avait des blanques, des loteries, des jeux de dés sur le pont au Change, et, le jour de mardi gras, après l'audience du grand conseil, la cour elle-même jouait aux dés sur le bureau du greffier en présence du public.

Les Sots, les Enfants sans-souci, les acteurs du théâtre de Bourgogne, donnaient le mardi gras des représentations sous les piliers des Halles. - Enfin, à Paris (cette coutume se retrouvera en province avec des variantes), les maris battus et trompés par leurs femmes eurent longtemps maille à partir avec les suppôts de mardi gras qui, déguisés en estafiers, les promenaient et les bernaient sur les places publiques. On se contentait parfois de les représenter par des mannequins de paille qu'un voisin escortait, monté à rebours sur un âne, entouré de masques armés de passoires, de pots, de soufflets, de bouteilles et de jambons. Et le bonhomme criait :

«Ceci n'est pas mon fait, mais celui de mon voisin !»

A Dijon, la société de la Mère folle, qui dura de 1381 à 1630, faisait tous les ans aux jours gras une procession solennelle. Nobles et gros bourgeois, déguisés en vignerons, couraient les rues sur des chariots, chantant des chansons grivoises et satiriques, véritable chronique scandaleuse de la ville.

Dans la Marche, à Dont, une tradition qui remonte aux débuts du XIIe siècle, voulait que, le jour du mardi gras à onze heures du matin les jeunes gens mariés ou tonsurés dans l'année, achetassent un porc gras et le fissent découper et distribuer aux pauvres à la porte de l'église Saint-Pierre. Après quoi, le prévôt de l'église, portant un petit enfant, passait vivement sous un globe de verre rempli d'eau que le chanoine de semaine cassait avec une gaule. Si le prévôt n'était pas mouillé il recevait une récompense. A midi, les jeunes mariés, les tonsurés, les bourgeois et le peuple se rendaient au château seigneurial en se tenant par la main et en dansant au son des trompettes, des tambourins, des hautbois et des cornemuses. Trois fois, ils faisaient le tour du château en chantant les louanges des comtes de La Marche qui étaient tenus de leur offrir du vin dans un gobelet de bois. Cette charité du lard se retrouve à Vatan (Indre), ou les hôpitaux faisaient une distribution aux pauvres le mardi gras.

A la Châtre (Indre), les femmes du peuple s'assemblaient le mardi gras sur la grande place et y dansaient des rondes en chantant les couplets les plus obscènes. Bientôt elles se répandaient à travers la ville en jouant à l'enfile aiguille. Se donnant la main, elles formaient une sorte de farandole. Chaque fois que les extrémités de la chaîne venaient à se rencontrer les deux personnes placées en tête élevaient leurs bras. La dernière femme de la chaîne, passant sous cet arc, entraînait à sa suite toutes les autres qui criaient à tue-tête :

Enfile, enfile, enfile, l'aiguille de Paris!

Cet usage n'a disparu que vers 1830.

Dans les villes du Nord, on promène encore aux jours gras les géants populaires: à Cambrai, Martin et Martine; à Dunkerque, Reuse-Papa; à Lille, Lyderic et Phinaert; à Douai, le célèbre Gayant, sa femme et sa famille. Le carnaval de Nice, le seul de France qui ait conservé quelque éclat, est en tout semblable au carnaval italien.

Carême-prenant.
Il semblerait que le mercredi des Cendres, début du Carême, dût clore définitivement le carnaval. Mais loin de là, carême-prenant ou carême entrant a toujours été l'occasion d'une recrudescence de folies, comme en témoigne un adage populaire :

A caresme-prenant et en vendange, Tous propos sont de licence.

A Paris, c'est précisément le mercredi des Cendres qu'on représentait la grande bataille de Mardi gras contre Carême et l'enterrement burlesque de Mardi gras; que les clercs de la basoche plaidaient la cause grasse en faisant assaut de grivoiseries. C'est précisément ce jour là qu'avait lieu, un peu plus tard, la fameuse descente de la Courtille. On sait que tous les masques qui avaient passé la nuit du mardi gras dans les restaurants des hauteurs de Belleville en redescendaient en masse au petit jour avec leurs déguisements ignoblement salis et déchirés, hurlant des obscénités.

C'est, écrit Jules Janin, une cohue immense, c'est une mêlée immense, c'est une ivresse immense. Les beaux jeunes gens de la ville et les belles petites maîtresses encore toutes pâles et tout en désordre du festin et du bal de la nuit accourent et se rangent sur le chemin pour voir tout le peuple descendre. La descente de la Courtille dure quelquefois une demi-journée, ceux qui passent insultent ceux qui regardent passer, les uns et les autres se disent mille injures.Dans toute la France, on fêtait de même carême-prenant. Au XIVe siècle, dans la plupart des provinces, on livrait alors de grands assauts de seule (ou choule). C'était un jeu de balle à la crosse dont les partenaires étaient soit des hommes mariés contre célibataires, soit les habitants d'une commune contre ceux d'une autre commune. A Brest, les débardeurs promenaient dans les rues un mannequin de paille et le jetaient dans le port. On habillait souvent ce mannequin de sardines et de queues de morues et on le brûlait au lieu de le noyer.

A Châlons-sur-Marne, un immense mannequin de paille revêtu d'habits funèbres était amené par quatre hommes dans le choeur de la cathédrale. On disait une messe de Requiem avec des cérémonies toutes spéciales; par exemple, l'officiant mettait son étole et sa chasuble à l'envers, les chanoines portaient de longues robes noires et un seul cierge était allumé au milieu de l'église. Dans d'autres églises, à Tours notamment, on enterrait l'Alleluia avec de grotesques cérémonies. On multiplierait à plaisir les exemples.
La fête des Brandons. Carnaval si bien enterré renaissait quelques jours plus tard.

Le premier dimanche de carême, appelé depuis le Xe siècle et pendant tort longtemps dimanche des Brandons, on célébrait dans les campagnes une fête qui rappelle beaucoup les Lupercales. Après le coucher du Soleil, les paysans portant des torches de paille enflammées, parcouraient leurs champs, leurs vignes et leurs vergers. Les hommes agitaient les brandons entre les branches des arbres fruitiers, tandis que les femmes et les enfants entouraient leur tronc d'une couronne de paille. Dans les blés, dans les vignes et les prairies, on plantait des croix de bois. On en garnissait les bras de bouchons de paille auxquels on mettait le feu. Des chants et des danses accompagnaient toutes ces cérémonies et la fête se terminait par un festin brandonnier où l'on mangeait force beignets.

La mi-carême.
Il était déjà d'usage au XVe siècle de fêter la mi-carême. On élisait des rois et des reines, qui après une promenade triomphale dans les rues, donnaient à danser à leurs sujets d'un jour. A Paris, c'était le jour consacré où l'on faisait embrasser aux nouveaux apprentis la Truie qui file, sculptée à l'encoignure de l'une des maisons du marché aux poirées. On heurtait fortement le nez des malheureux contre la pierre et ce spectacle soulevait les rires et les quolibets des badauds ameutés.

Plus spécialement, les harengères se distinguèrent dans la célébration de la mi-carême. Jusqu'à une époque récente, ce seront les blanchisseuses qui continueront la tradition, éliront des rois et des reines, parcourant Paris sur des chars et dansant éperdument toute la nuit.

Nous relevons en province quelques coutumes singulières.

A Argenton, les enfants couraient les rues, armés de sabres de bois, poursuivaient les vieilles femmes et assiégeaient leurs maisons. A la tombée de la nuit, ils se rendaient sur le bord de la rivière, sculptaient en terre glaise une vieille de la mi-carême, puis se précipitant sur elle, la mettaient en pièces avec leurs sabres et jetaient les débris dans la rivière. Mêmes usages à peu près à Tulle et à Rodez.

Dans le Jura, on appelait jours de la vieille les trois derniers jours de mars et les trois premiers d'avril.

A Bourges, on sciait la vieille, représentée par un mannequin. En 1856 encore, les gamins criaient :
«Fendons la vieille ! Fendons la plus vieille du quartier!»
On a rapproché cette coutume du culte du bas peuple de Rome pour Anna Perenna.

Police du carnaval.
De très bonne heure, les licences du carnaval attirèrent l'attention du pouvoir. Une foule d'abus, de désordres, même de crimes, se commettaient sous le masque, quand cela ne débouchait pas sur un bain de sang comme celui auquel donna lieu le carnaval de Romans (Drôme) en 1580 (Emmanuel Leroy Ladurie, Le Carnaval de Romans, Gallimard, 1979) .

Charlemagne voulut bannir les mascarades de son empire. Il n'y réussit pas et, pendant tout le Moyen âge, le carnaval, adopté et protégé par l'Église, étala en plein jour ses fantaisies les plus grossières et les plus monstrueuses. Le 9 mars 1399, Charles VI, rappelant d'autres ordonnances qui ont été perdues, défendit

«que nul ne portast faux visages ne embrunchiez et que interposeement, par personnes incongneues, aucun ne batist ou injuriant, ne feist batre ne injurier autres personnes».

A partir du XVe siècle, les parlements commencèrent à sévir; mais la fréquence même de leurs arrêts peut inspirer quelques doutes sur leur efficacité. Nous citerons les principaux. Le 14 décembre 1509, le parlement de Paris défend de faire et de vendre des masques, de porter des masques, de jouer au jeu de momon en masques ou avec d'autres déguisements, à peine de prison et d'amende (Id. Clermont, 27 décembre 1509). Le 26 avril 1514, arrêté portant que les masques et faux visages seront brûlés en public, avec défense d'en porter sous peine de confiscation. Les 26-27 novembre 1535, 9 mars 1539, 2-14 janvier 1562, 8 janvier 1575, 4 février 1592, défense d'aller en masques dans les rues de Paris avec des joueurs d'instruments, à peine d'être punis comme perturbateurs du repos public.

Une ordonnance royale du 9 novembre 1720, et une ordonnance de police du 5 février 1746, interdirent aux masques de porter des bâtons et des épées ou d'en faire porter par les laquais. Des ordonnances de police du 6 décembre 1737 et du 11 décembre 1742, défendirent aux jeunes gens et tapageurs de nuit d'entrer de force dans tous les lieux où il y a des bals et de la musique (c'était, comme on l'a vu plus haut, l'usage en temps de carnaval), de violenter les traiteurs, leurs femmes et enfants et d'obliger les violons à jouer toute la nuit.

Le carnaval fut interdit de 1790 à 1798. A partir de cette époque, la police a publié tous les ans au moment du carnaval une ordonnance conçue toujours à peu près dans les mêmes termes. Visant la loi des 16-24 août 1790, l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, celui du 3 brumaire an IX, les lois du 7 août 1850 et 10 juin 1853, les art. 259, 330, 471, 475 et 479 du C. pén., elle interdit à tous les masques de se montrer sur la voie publique avec des armes ou bâtons, de se masquer avant 10 heures du matin et après 6 heures du soir, de prendre des déguisements de nature à troubler l'ordre public ou à blesser la décence et les moeurs, de porter aucun insigne, aucun costume ecclésiastique ou religieux, d'apostropher qui que ce soit par des invectives, des mots grossiers ou provocations injurieuses, de s'arrêter pour tenir des discours indécents et provoquer les passants par gestes ou paroles contraires à la morale, de jeter dans les maisons, dans les voitures et sur les personnes des objets ou substances pouvant causer des blessures, endommager ou salir les vêtements, de promener ou brûler des mannequins dans les rues et places publiques.

Tel est le fonds commun. Il y a quelques variantes intéressantes. Le 10 février 1801, l'ordonnance de police défend le port du masque dans les rues et lieux publics. Cette défense persiste jusqu'en 1820. De 1815 à 1820, parmi les mascarades interdites figurent
«celles qui rappelleraient les époques malheureuses de la Révolution française».L'ordonnance du 10 février 1830 interdit la vente du catéchisme poissard.

Celle du 14 mars 1871 interdit les bals publics, mascarades et promenades organisés ordinairement pendant la mi-carême. Enfin, celle du 7 février 1880 défend de sonner sur les voies parcourues par les tramways du cornet à bouquin ou de tout autre instrument dont le son pourrait être confondu avec celui de l'avertisseur de ces voitures.

Le carnaval dans d'autres pays.
Nous n'avons pas la prétention de faire l'historique du carnaval dans le monde entier. On trouverait chez tous les peuples et jusque dans l'extrême Orient des fêtes populaires qui s'en rapprochent tant par leur caractère que par l'époque à laquelle elles ont lieu. Mais notre cadre ne comporte pas une étude aussi développée et ce serait donner peut-être, sans raison suffisante, une extension exagérée au mot Carnaval. Nous nous bornerons donc à quelques détails indispensables sur les pays où le carnaval, a eu quelque éclat (et continue parfois d'exister).

Allemagne.
- Suite naturelle des antiques représentations des métamorphoses des dieux, de la promenade symbolique de la charrue et du char naval au printemps (Carrus navalis, encore une étymologie qui nous avait échappé...), le carnaval eut un grand éclat avant la Réforme et la guerre de Trente ans. Les mascarades, les facéties de Hanswurst, les Jeux du mardi gras, sorte de satires burlesques déclamées sur les places publiques en furent les principales phases.

Memmingen, Augsbourg, Bamberg, Nuremberg surtout se distinguèrent par leur gaieté. Puis le carnaval disparut presque complètement pour ne reparaître qu'au début du XIXe siècle.

Les villes du Rhin l'empruntèrent alors à la France. Cologne, Aix-la-Chapelle, Düsseldorf, Mayence, Trèves rivalisèrent un moment avec Venise et attirèrent une foule d'étrangers.

Les villes protestantes, Leipzig, Hambourg, Berlin, qui n'avaient même pas le prétexte du jeûne catholique, adoptèrent à leur tour les banquets, beuveries, danses, mascarades et bouffonneries de toutes sortes qui le précèdent.

Le bal des tonneliers de Francfort-sur-le-Main, les bals des bouchers et des tonneliers de Munich sont restés célèbres dans toute l'Allemagne. Notons une coutume spéciale à la Bavière. Au XVIe siècle, pendant les jours gras et le mercredi des Cendres, des masques couraient les rues en frappant tous les passants avec de petits sacs remplis de cendres. Le mercredi, les jeunes filles, réunies par les jeunes gens, s'attelaient à une charrue, la promenaient à son de trompe et la précipitaient ensuite dans un fleuve ou dans un lac.

Belgique.
- Bruxelles et surtout Anvers célèbrent joyeusement le carnaval. Le principal attrait des jours gras est la promenade des géants et la bataille des pepernoten.

A Bruxelles, les fameux Jan et Mieke, petit Jean, petit Michel, Gudule et Jean de Nivelle, le sultan et la sultane; à Anvers, Druon Antigon, la géante des navires et autres personnages monstrueux parcourent les rues avec un immense cortège de chars allégoriques, de baleines, de dauphins, de pierrots, d'astrologues, de débardeurs et de marquis. On sonne de la trompe, on frappe le dos des passants avec des vessies de porc gonflées. Les masques bombardent de popernoten (pâtisseries dures de farine et de miel, en forme de dé à jouer) les spectateurs des balcons et les promeneurs, qui leur répondent par une grêle de mêmes projectiles.

Espagne.
- Madrid, Séville, Cadix, Barcelone, ont eu des mascarades brillantes. A Barcelone, des quadrilles de gens masqués entrent dans toutes les maisons où l'on danse. C'est l'ancien momon qui se pratiquait en France. A Madrid, on promène dans les rues un mannequin représentant une vieille femme qu'on appelle la Reina cuaresma. Elle a pour sceptre un poireau, une couronne de feuilles d'oseille et d'épinards, des oripeaux bizarres et sept jambes longues et maigres qui symbolisent les sept semaines du carême. Cette procession se fait le soir à la lueur des torches, on y chante des chants funèbres. Après quoi, la Reina cuaresma est enfermée dans une maison où tout le monde peut lui rendre hommage. A la fin de chaque semaine, on coupe une des jambes de la reine. Le soir du samedi saint, on transporte le corps sur la plaza mayor, on le décapite et on le met en pièces aux applaudissements de la foule.

Italie.
- L'Italie patrie des anciens saturnales, est le berceau du carnaval. Aussi ne doit-on pas s'étonner qu'il ait atteint en ce pays une splendeur et un développement exceptionnels. Jadis Florence fut renommée pour la licence de son carnaval, licence dont les chants carnavalesques de Laurent de Médicis peuvent seuls donner une idée.

Le carnaval de Rome et celui de Venise ont joui longtemps d'une renommée européenne. On y accourait de toutes parts. Cette affluence d'étrangers riches, à Rome notamment, peut expliquer la tolérance séculaire de l'Église pour des divertissements profanes que d'aucuns, à vrai dire, jugeaient assez déplacés dans une ville directement soumise à l'autorité des papes. Ceux-ci d'ailleurs protestèrent parfois contre des licences un peu trop vives, mais il ne paraît pas qu'ils aient insisté beaucoup en ce sens et plusieurs d'entre eux ont collaboré aux magnificences de ces fêtes.

Le Diarium de Burchard donne la nomenclature assez sèche des réjouissances carnavalesques de 1487 à 1506. On y remarque une grande quantité de courses : courses de Juifs n'ayant pas vingt ans, courses de vieillards de plus de cinquante ans, courses de jeunes gens de vingt à trente ans, courses d'enfants de moins de quinze ans; courses d'ânes et de buffles, courses de chevaux barbes; des combats de taureaux, des joutes à la lance, des chars de triomphe, les gigantesques processions, à la fois civiles et religieuses, qui constituaient les giuocchi de l'Agona et du mont Testaccio.

Sous le pontificat de Paul III (1534-1519), le carnaval tut particulièrement brillant. On y vit, outre les divertissements traditionnels, des cavalcades splendides conduites par les plus hauts personnages, entre autres le duc de Camerino et le cardinal Farnèse, des chasses de bêtes, des représentations théâtrales et des bals masqués, Jules III donna lui aussi de grandes courses, des comédies et de magnifiques festins au Capitole, où il invitait les plus belles femmes de Rome.

Sixte-Quint se montra moins indulgent. Il fit élever sur les places publiques des gibets et des piloris à l'usage des tapageurs. On lui doit l'établissement des barrières destinées à prévenir les accidents qui se produisaient trop fréquemment aux courses des chevaux libres.

Clément XI (lettres apostoliques de 1719 et 1721) et Benoît XIV (encyclique de 1748) sévirent aussi contre le carnaval. Jadis, le carnaval de Rome commençait la veille de la Séxagésime, les derniers papes en avaient peu à peu réduit la durée aux seuls jours gras. A partir de l'annexion de Rome à la couronne d'Italie, il a perdu beaucoup de son importance. Courses de gala, cavalcades, procession de chars, promenade du corso, batailles de fleurs et de confetti, mascarades, bals travestis (veglioni), courses de barberi dans le Corso (supprimées en 1874) resteront au début du XXe siècle les principales réjouissances populaires. Ajoutons-y les moccoletti, qui, par leur singularité, méritent une mention. Le soir du mardi gras, on célèbre l'enterrement du carnaval en brûlant un mannequin. Des files d'équipage circulent sur le Corso, une foule énorme envahit les rues, et chaque personne porte à la main un petit cierge allumé (moccoletto). Chacun essaie d'éteindre le moccoletto de son voisin en soufflant dessus, ou à coups de mouchoirs. Il en résulte un combat plus amusant encore que celui des confetti de plâtre.

Le carnaval de Venise fut encore plus célèbre et plus fréquenté que celui de Rome, car il le dépassait en licence et durait une partie de l'hiver. Des illuminations féeriques, des feux d'artifice, des gondoles illuminées circulant sur les canaux avec leur équipage de masques et de musiciens, le luxe des déguisements, l'affluence des belles courtisanes et surtout l'autorisation des jeux de hasard, tels étaient les attraits puissants de ces fêtes qui ont, elles aussi, beaucoup pâli, quand Venise perdit son indépendance politique.

d'après l'article du site http://www.cosmovisions.com/

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