dimanche 16 septembre 2007

A propos de Septembre 2007

Je suis septembre. Les deux mois qui me précèdent ayant été débaptisés, le premier en souvenir du nom de famille de Jules César et le second pour célébrer son fils adoptif Auguste, il se trouva suffisamment de flatteurs au Sénat pour proposer la même chose en me donnant le nom d’autres césars. Que je sois appelé «Tacitus» en l’honneur de Tacite, passe encore et restons calme ! «Antoninus» en mémoire d’Antonin, ça peut s’entendre... d’abord parce qu’il était «pieux» et puis parce que sa famille était nîmoise.. Soyons un peu chauvin ! Alors je n’ai rien dit.
Mais quand il s’est agi de me baptiser Germanicus par que Domitien, avait passé son temps à combattre les peuples de Germanie et à réorganiser ces régions tout au long du Danube, j’ai commencé à ruer dans les brancards. Il y a eu, paraît-il, cette année-là, comme souvent quand j’ai mes sautes d’humeurs, beaucoup de pluies et d’orages. Puis ce fut le bouquet quand d’autres sénateurs proposèrent que je devienne Herculeus, sous prétexte que ce mégalomane de Commode, pas si facile que ça d’ailleurs, se faisait représenter sur les statues et monnaies d’époque en tenue d’Hercule. Alors là je me suis déchaîné et il y a eu de terribles inondations comme je sais si bien les provoquer. Peu importe d’ailleurs l’ordre dans lequel ces choses se sont passées. J’étais dans une telle fureur que je ne me souviens plus très bien leur chronologie. Après avoir imploré les dieux, et invoqué les mannes des fondateurs de Rome on est revenu au point de départ et j’ai gardé à travers les siècles mon nom d’origine, le septième des mois du calendrier, bien que pour se caler sur le soleil il ait fallu rajouter un, puis deux mois pour arriver à faire coïncider les saisons avec le cycle régulier du bel astre du jour.


Je suis donc resté Septembre, et ce, malgré les différentes réformes des calendriers, en particulier quand le pape Grégoire après le concile de Trente, a fait établir un nouveau callendrier qui reste le calendrier le plus universellement reconnu et toujours en vigueur au moment où j’écris.


Il y a eu seulement un moment où j’ai bien cru que j’allais rajeunir ! C’était à l’époque révolutionnaire en France. J’avais deux noms pour moi, presque tout seul : Fructidor car je suis le mois des dernières récoltes, et Vendémiaire, au moment des belles vendanges, car j’ouvre la porte à l’automne, la saison aux si belles couleurs. Cela m’avait séduit. On disait que tout allait changer. Ainsi mon nom aurait été la référence du mois où tout était reparti pour des lendemains qui chantent ! Une nouvelle république, une nouvelle constitution, des droits de l’homme enfin bien affirmés, tous les privilèges abolis, de nouvelles perspectives pour plus d’égalité. Cela n’a pas duré.. Bien vite ça a mal tourné. Des massacres en début de mois, un général qui a été affublé de mon nom en sobriquet à cause d’une intervention très maladroite, avant qu’il ne se saisisse d’un pouvoir absolu, certes en donnant au pays des bases solides qui restent aujourd’hui à la base de notre droit, mais qui n’ont pas su ou pas pu évoluer.. ! Bref je me contente de septembre comme au temps de Romulus.


Si on fait de nouvelles tentatives de me débaptiser - il y a bien plus important à faire que cela actuellement ! - je pique ma colère, comme l’a fait le mois de mars quand on a décidé de commencer l’année avec un autre mois que lui : «Septembre est le mars de l’automne». Et si je m’emporte ce ne sera pas que des giboulées ! : «Septembre emporte les ponts, ou tarit les fonts» et j’appellerai à la solidarité mes collègues : «Pluie de septembre, pluie de novembre, seront gelées en décembre !» ou «Orages de septembre, pluies en décembre».


Restons calme et occupons nous de choses sérieuses. «septembre se montre souvent comme un second et court printemps».
Il faut se préparer tranquillement à la diminution de la durée du jour : « A la saint Leu, la lampe au cleu » comme on dit paraît-il en Bourbonnais. Dans nos parlers du Midi c’est le caleu, la lampe à huile qu’il faut préparer : «Oou mes de setembre, lou caleu es a pendre».


Alors vite au travail ! Finies les vacances : «En septembre, les feignants peuvent s’aller prendre» et surtout dans les champs : «En septembre, il fait bon être tout le jour dans la campagne.» ou encore : «Septembre le vaillant surmène le paysan». Les labours commencent et la vendange approche : «Oou mes de setembre lou rasin es bouen à pendre». À moins qu’on attende, comme dans le sauternais «la pourriture noble», ou que l’on veuille produire des «vendanges tardives» ou «des vignes rousses» !
On dit, le 8 septembre, pour la fête de la nativité de la Vierge Marie: «A la bonne dame de Septembre, tout fruit est bon à prendre» ; «Avant la Bonne Dame, tu peux labourer quand tu veux, après la Bonne Dame, tu laboures quand tu peux» ; et le 14 septembre, en plein milieu du mois, à la fête de la sainte Croix ce sera idéal pour cueillir pommes et noix : «A la sainte Croix, cueille tes pommes et gaule tes noix» et pour semer : «A la sainte Croix semailles partout» ou «A la sainte Croix, dernier jour pour semer tes pois».


Pour moi, Septembre, c’est le moment de me séparer des oiseaux migrateurs qui ont animé le ciel depuis le mois d’avril «L’hirondelle en septembre abandonne le ciel refroidi de l’automne». Ils poursuivent leur long pèlerinage, souvent vers l’Afrique.


C’est en septembre 721, le premier jour de mon mois, que mourut Saint Gilles. Je rappellerai ici l’histoire de cet ermite car non seulement il vivait dans les années 700, donc encore une référence au chiffre sept comme moi, mais aussi parce que sa légende nous ramène à la Septimanie, un nom, qui fait aussi référence aux mêmes racines étymologiques autour de ce chiffre parfait. Le Languedoc-Roussillon, a bien failli se voir imposer un nouveau nom de baptême, lui aussi, par la volonté autoritaire d’un trop célèbre homme politique, dont les pratiques rappellent parfois celles contestables des anciens empereurs romains. Pourtant cela sonnait bien ce nom ! Ca me plaisait assez. Mais ça n’a pas marché.
Gilles un jeune grec, vint se fixer dans les gorges du Gardon, non loin du Pont du Gard, près d’un célèbre ermite qui s’appelait Vérédème. Ce dernier avait, paraît-il, un mauvais caractère. Peut-être était-il trop exigeant dans sa mystique. Les deux ermites se séparèrent et Gilles partit fonder son propre ermitage dans l’épaisse forêt qui s’étendait sur la rive droite du Rhône, dans la proximité de la cité qui perpétue cet état d’alors : Sylvéréal - du latin silva : la forêt- sur les rives du Petit Rhône. Il vivait, dit-on de racines et d’herbes de la forêt et du lait d’une biche. Après la bataille de Vouillé en 507, les Wisigoths continuaient d’occuper cette partie de la Gaule, la Septimanie, vestige de l’ancienne province romaine au nom de Narbonnaise. Une région pas si agréable à vivre que ça, où les zones marécageuses rendaient la côte insalubre et où les habitants se repliaient et se barricadaient dans les villes pour se protéger des fréquentes incursions des Maures.
A l’époque de Gilles, les seigneurs de la région venaient de désigner le roi Wamba, un wisigoth d’Espagne, pour devenir roi de Septimanie. Mais Nîmes se révolta contre cette désignation. Wamba vint faire le siège de la ville. Un jour qu’il chassait dans la forêt avec ses soldats pour les distraire un peu de Nîmes, il blessa la biche de l’ermite. D’autres récits disent que c’est Gilles qui fut blessé alors que la biche était venue se réfugier auprès de lui. Toujours est-il que Wamba ému, vit là un signe du ciel et devint l’ami et le protecteur de Gilles. Rapidement une communauté se forma, on construisit une très grande et belle église sur le tombeau de Gilles. Il ne nous reste de cette abbaye qu’un extraordinaire portail roman, et la fameuse « vis de Saint Gilles » si connut des Compagnons tailleurs de pierres, et une crypte où il ferait si bon se recueillir plus souvent si les services de la ville ne faisaient pas payer l’entrée !
Situé à un endroit proche d’un gué sur le Rhône, Saint Gilles est une grande étape sur l’un des chemins de Compostelle. Tout ceci est rapidement dit. C’est une des interprétations de la légende de St Gilles. L’année même de la mort de Gilles les envahisseurs maures et arabes subirent devant Toulouse, disent leurs plus sérieux chroniqueurs,- tel El Makhari - leur plus grand échec. On était en 721. Les traces de la «reconquête» restent présentes dans des récits comme les batailles qui eurent lieu dans toute notre contrée, à Meynes ou aux « osses de Fournès» près de Rochefort du Gard par exemple.
Cette époque marque la fin de la Septimanie wisigothe, qui devint ensuite Marche d’Espagne et même marquisat de Gothie, quand Charlemagne la donna à son neveu Guillaume. Celui-ci dut reconquérir le territoire avant de se retirer dans l’abbaye de Gellone, notre actuel Saint Guilhem le Désert, sur les rives de la rivière Hérault. Son entrée dans Nîmes, avec une astuce inspirée de celle du cheval de Troie, nous vaut une extraordinaire chanson de geste : «Le Charroi de Nîmes», le plus ancien récit du cycle de Guillaume d’Orange qu’il serait intéressant de redécouvrir. Cette épopée a même été mise en scène.
Nîmes était alors une cité d’importance alors que Montpellier notre capitale régionale n’existait pas encore et que ses champs déserts, mons puellarum ou mons pessulanus, étaient sous la dépendance des seigneurs de Melgueil (Maugio). Qui a osé parler de rivalité entre Nîmes et Montpellier ?
Voyez encore : Un peu plus tard, Bernard de Septimanie, fils de Guillaume, reprit la tête du territoire, en exilant cruellement sa douce épouse Dhuoda à Uzès, près de l’évêque Eléfant. Mais oui il y a bien eu un évêque de ce nom ! On ne parlait pas encore de mammouth !
Le mystère subsiste sur le lieu où était située sa villa et où elle vivait avec sa «maisnie». Sans doute une grande villa gallo-romaine. On trouve tout autour d’Uzès bien des traces de ces grandes villas. Ou bien était-elle là où se dresse l’actuel Duché d’Uzès ? Mystère. Nous n’avons aucune preuve sinon trois manuscrits différents mais complémentaires à Paris, Nîmes et Barcelone, qui ont fait l’objet de savantes études et publications. Le «Manuel pour Mon Fils» qu’elle nous a laissé est un merveilleux document, qui nous montre la grande culture de cette princesse, la finesse de son intelligence et aussi sa grande souffrance d’avoir été séparée de ses deux fils. Elle gît quelque part en terre uzétienne et nous connaissons bien la merveilleuse épitaphe qu’elle avait rédigée elle-même. Si un jour quelque pelle-mécanique déterre sa pierre tombale : «que personne ne s’éloigne sans avoir lu» comme elle nous y invite. Ce manuel qui a été longuement étudié, expliqué et même transformé en roman, mérite d’être lu. Il reste dans le ton de cette chronique dans la mesure où un long chapitre développe toutes les interprétations autour des chiffres et notamment du chiffre sept. Du duc de Septimanie son mari, l’histoire nous laisse le portrait d’un homme ambitieux, turbulent, présomptueux, autoritaire et cupide et aux mœurs dissolues…Il n’y a ici aucune volonté de faire un rapprochement avec qui que ce soit. Ce sont les historiens qui le disent. Quelquefois ils disent aussi que l’histoire se répète !!


Précisons encore que cette Septimanie «wisigothe» fut de courte durée dans l’histoire, entre la fin de la Narbonnaise où régnait alors la pax romana et l’invasion des Maures, soit entre la bataille de Vouillé et les batailles qui mirent un frein à l’invasion arabe. Elle devrait son nom, soit au fait qu’elle avait été placée sous la surveillance de la septième légion romaine, et de ses vétérans, soit, selon d’autres interprétations, à cause des sept évêchés qui la composaient : Elne, Agde, Narbonne, Lodève, Béziers, Maguelonne et Nîmes. Avec le passage «historique» d’Elne et des actuels Roussillon, Cerdagne et Capcir sous l’influence catalane, Uzès, un temps hors Septimanie, devint le septième évêché. Le titre de Duc de Septimanie ou même de Marquis de Gothie, a été maintenu jusqu’au 12ème ou 13ème siècle mais était alors dans un tout autre contexte que celui de la Septimanie des Wisigoths.


Il faut préciser enfin, bien que la notion de frontières soit assez imprécise à cette époque, qu’une bonne partie de la Lozère, notre Gévaudan, ne faisait pas partie de la dite Septimanie. De leur côté, nos amis Catalans, bien qu’ayant été sous l’influence des Wisigoths, ne se retrouvent pas vraiment dans la nouvelle appellation qu’on voulait imposer, trop fier de leur identité «catalane». «Catalan de luen o fraire !». On est donc revenu à une belle croix de Toulouse très stylisée et modernisée, comme signe emblématique pour notre région. On comprendra ainsi un peu mieux que l’on ne peut pas transformer les faits historiques quand cela nous arrange, même s’il eut été plaisant pour moi qu’il soit encore fait référence à mon chiffre sept, un chiffre parfait !


Le 11 de mon mois, le soleil a rendez-vous avec la lune, mais même partiellement nous n’assisteront pas au spectacle de cette éclipse en Europe. Avis aux victimes de canulars et autres «hoax» ! Ce sera l’équinoxe et l’automne. Le 25 il y a un nœud lunaire et le 26 la pleine lune. Surveillons le temps ! Puis la fête de Saint Michel, le 29 septembre, qui a une grande importance dans le monde paysan. C’est presque partout à cette date que se tiennent de nombreuses foires. On peut dire sans exagération que l’année agricole avait pour «jour de l’an» le jour de la saint Michel. Encore une raison de me mettre en valeur et de parler de moi!


A cette date, la terre est franche d’obligations. Elle ne porte plus aucune récolte et n’a pas reçu encore de semences. Les labours eux-mêmes ne commencent que dans les derniers jours de septembre pour s’achever dans les premiers jours de novembre : «De la saint Michel à la Toussaint, laboure grand train.» C’était le jour de la saint Michel que prenaient fin traditionnellement les baux de fermage, ou qu’ils étaient renouvelés. De même c’est à la saint Michel qu’étaient «débauchés» ou «embauchés» les commis de ferme et les autres personnels. D’où les Dès le 17 septembre, pour la saint Lambert les vieux dictons invitent à la prudence. Celui qui sans y être contraint, quittait alors sa place, courait grand risque de ne pas la retrouver : «Le jour de la saint Lambert, qui quitte sa place la perd !»
C’est dans la deuxième quinzaine de septembre, en effet, que se préparaient, entre fermiers, ouvriers et commis, les engagements réciproques pour l’année agricole à venir. La saint Michel marque les derniers jours de chaleur : «A la saint Michel, la chaleur monte au ciel.» C’est le dernier délai pour le départ des hirondelles : «A la saint Michel, départ des hirondelles !» Si ces hirondelles se sont attardées jusqu’à cette date c’est parce qu’il peut faire encore très beau : «Quand l’hirondelle voit le saint Michel, L’hiver ne viendra qu’à Noël !»


Il est temps enfin d’espérer ces pluies d’automne que l’on redoute pourtant…! : «Quand l’aoubo de san Miqueou est tapado, ploou quaranto jour e pie uno pasado.» Quand l’aube de la saint Michel est couverte, il pleut quarante jours et plus encore… !!
Vous remarquerez que je n’ai jamais parlé d’année des treize lunes et du mauvais temps qu’elle devrait amener. Il y a une vieille croyance qui ne semble pas fondée et surtout liée au chiffre 13. Je n’ai trouvé sur ce sujet qu’un seul dicton qui dit que les années de treize lunes il n’y a que les mois en «a» qui ont du beau temps. C’était vrai pour Avril 2007 mais que dire d’Août ? Il faudrait regarder le temps qu’il a fait en 1980/82/88/90/93/96 ou en 2001 ou 2004. Ces années là le temps change plus souvent ( au moins 13 fois au lieu de 12 en suivant le cycle lunaire ) mais de là à dire que c’est du mauvais temps.. ! il faut observer bien d’autres éléments que j’ai souvent cités ici : lune montante ou descendante, apogée ou périgée, et nœuds lunaires entre autres.


L’heure étant désormais à l’œcuménisme je n’insisterai pas sur la Michelade, ce trop célèbre massacre qui eut lieu à Nîmes, à l’occasion de la foire de la Saint Michel, en 1567, cinq ans avant la saint Barthélemy. Le récit de cette affaire est aussi à connaître si l’on veut bien comprendre la question des guerres de religion chez nous. Il n’y a pas eu que la guerre des Camisards !



Avec tout cela c’est bien moi, le mois de septembre. Cela justifie bien un texte assez dense et ces quelques lignes de plus !

«Je me fais septembre appeler.
plein de tous biens à tous endroitz
On peult en ma saison trouver
Froment et vin, avoyne et poys.
Tous hébergez pour une fois
Dont chascun doit par grant raison
Adviser qu’en icelluy moys
Soit bien pourveu pour sa maison… »

Grand Calendrier des bergers , Guiot Marchant, 1496

Bon automne, Bonne rentrée, bon travail !

A Diou sias.

Jean Mignot
En ce trente et un du mois d’août de l’an 2007

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