L’itinéraire sauvage des frères Pollet se termine sur l’échafaud
On les avait appelés « Les chauffeurs ». Tout bêtement parce qu’ils chauffaient (ils brûlaient !) les pieds de leurs victimes pour leur faire avouer où elles cachaient leur pécule. Entres autres cruautés. C’était au début du XIXe siècle, et leur sinistre tradition s’est vite éteinte. Sauf dans cette région, où les frères Pollet, cent ans après, ont fait revivre ces drôles de manières. Ils ont fini sur l’échafaud...
PAR ÉRIC DUSSART reportages@lavoixdunord.fr
Ce n’était pas une terreur, Abel. Tout juste un contrebandier un peu plus fruste que la moyenne, qu’on connaissait surtout, à Hazebrouck, pour ses colères et ses mauvaises manières. Comme son frère, Auguste. Le même en plus timide.
Drôle de famille, tout de même, les Pollet. Capables de s’endimancher pour la messe, puis de voler, à la sortie de l’église, de quoi faire ripaille pour le reste de la semaine à l’étal d’un commerçant ébahi, qui ne reste qu’avec des ruines...Alors, on est à peine surpris, le 28 juillet 1901, quand Abel est arrêté, avec un complice, pour avoir tenté de s’introduire chez des agriculteurs, à Vieux-Berquin, près d’Hazebrouck.
Trois ans de prison. Une péripétie, pour d’autres, une catastrophe pour lui.
À Loos, il rencontre les cadors de la pègre d’alors et s’encanaille. Se perd. Il n’est déjà plus un ange, à ce moment-là, mais pendant ce séjour, c’est comme s’il avait vu le diable.À sa sortie, il ne veut plus des butins dérisoires de ses « virées » d’avant, avec son frère, quand ils ramenaient trois jambons d’une ferme de Vermelles, des patates de Laventie, une bicyclette de Sailly-Labourse ou quelques montres de Lens.
Carnage à Violaines, horreur à Bailleul
Carnage à Violaines, horreur à Bailleul
Le 17 juillet 1905, c’est pour voler de l’argent que les deux frères s’introduisent chez M. Deron, un cultivateur de 77 ans, à Calonne-sur-la-Lys. Le vieux se réveille au mauvais moment : ils le rouent de coups de bâtons et le laissent pour mort. Il survivra. C’est le début d’une sanglante épopée, d’une fuite en avant qui sèmera la terreur dans tout le Nord - Pas-de-Calais, et même jusqu’en Belgique.Le 16 août, à Locon, près de Béthune, la vieille Mme Lenglemetz aura moins de chance que M. Deron. Son mari survit, mais elle meurt. Leur cabaret est mis à sac, dévalisé.
C’est à ce moment qu’Abel rencontre Théophile Deroo, qui finira également sur l’échafaud, et avec lequel il écume les fermes isolées et les maisons où ils croient pouvoir trouver de l’argent. Chaque fois que quelqu’un vient les déranger, ou qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchent, ils cognent. Sauvagement.Les « bandits d’Hazebrouck » font peur, les agriculteurs vivent dans l’angoisse, la région tremble.
Le 2 janvier 1906, une autre attaque sauvage, sans pitié, coûte la vie à Mme Louzie, 72 ans, à Crombèke, en Belgique.
Le 20 du même mois, c’est un véritable carnage, à Violaines, où les époux Lecocq, 81 et 79 ans, et leur fille Euphrosine, 55 ans, sont retrouvés assassinés, baignant dans leur sang.Derrière eux, les bandits ont laissé une maison en ruine, une scène d’horreur qui raconte les souffrances endurées par les trois victimes.C’est parce qu’ils ont fait chou blanc à l’église et la mairie que les frères Pollet, Deroo et Vromant, une autre recrue d’importance, se sont introduits dans la grande maison des Lecocq. Ils en sont partis avec 8 000 francs en or, des bijoux et du liquide.
Il y aura encore une autre attaque sanglante, à Bailleul, où un autre vieux fermier s’en tire par miracle, et puis, au mois de mai 1906, un beau-frère d’Abel Pollet le dénonce à la gendarmerie. On ne saura jamais pourquoi : l’homme mourra avant le procès.Un spectacle, ce procès, à la cour d’assises de Saint-Omer ! Dans le box, ils sont vingt-sept, pour la plupart des comparses occasionnels. D’ailleurs, cinq seront acquittés. Dix-huit seront condamnés à des peines de trois à sept ans de prison, tandis que les frères Pollet, ainsi que Deroo et Vromant sont condamnés à mort, au terme d’un procès de neuf jours (du 16 au 26 juin 1908) au cours duquel les accusés s’invectivent entre eux.
Les frères Pollet insultent les témoins et leur vie s’étale dans toute sa cruauté, leurs instincts dans ce qu’ils ont de plus primaires.
Quatre têtes en douze minutes...
Le 11 janvier 1909, à sept heures, Anatole Deibler, « exécuteur des hautes oeuvres », vient chercher les quatre hommes à la prison de Béthune pour les emmener sur la place où, la veille, a été montée la guillotine qu’il a apportée avec lui de Paris.Là, ils sont plus de dix mille à crier « à mort ! », « salauds ! », à exulter, à cracher un mélange de haine et de soulagement, à attendre le spectacle cruel des quatre têtes qui tomberont, en douze minutes, dans une malle d’osier.
Deroo, d’abord, puis Vromant, Auguste Pollet, sans un mot, terrorisés. La foule, déchaînée, chante « C’est Abel, Abel, Abel, c’est Abel qu’il nous faut... » Abel arrive à son tour. Arrogant, hystérique. Il défie la foule et hurle : « À bas les calotins ! » Sa tête sur le billot, il crachera encore : « Merde, merde, et encore merde !.. » Et le bruit sec du couperet. La bande des frères Pollet n’est plus.L’histoire retiendra aussi qu’après les déchaînements de liesse qui ont accompagné leur exécution, ils auront été les derniers à être guillotinés en public... •
in LA VOIX DU NORD, édition du dimanche 16 juillet 2006
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