mercredi 19 juillet 2006

L’histoire dans l’Histoire ou les romans de Flandre…

Conter
Conter une histoire dans l’Histoire n’est pas chose aisée. L’art du roman historique est tout aussi difficile que le travail universitaire, à ceci près que, excepté les gloires des rayonnages de librairie, les romans ont un plus large lectorat. Le roman historique peut donc être considéré comme un œuvre de vulgarisation à part entière, dans le sens noble du terme : rendre commun au plus grand nombre…

Il faut donc, pour ces auteurs, à la fois tenir compte de plusieurs exercices qui peuvent sembler inconciliables : connaître la grande Histoire, celle que l’on enseigne, la petite histoire, celle des anecdotes que l’on colporte en famille ou que l’on trouve dans les brèves des journaux et y faire entrer ses héros. Une gageure que réussissent parfaitement MM Eric Vanneufville et Régis Macke. En effet, l’exercice est périlleux : s’agissant de romans régionaux, il faut en plus parfaitement maîtriser le cadre géographique, la toponymie, les tournures de phrases, l’usage même du flamand… bref, tous ces petits détails qui rendent l’histoire pittoresque et en même temps proche des gens, notamment des lecteurs qui habitent les lieux où les auteurs plantent le décor de leurs actions…

Restent les histoires.
La Flandre est une terre rude, aux hommes âpres au labeur et aux femmes solides où, bien évidemment, les passions s’exacerbent et où les comportements sont excessifs dans la joie comme dans la douleur. Pour le romancier, il faut donc rester crédible en ayant le souci du détail qui étonnera même l’érudit local… Rien d’étonnant donc à ce que nos deux auteurs, Eric Vanneufville et Régis Macke fondent leurs récits (presque) imaginaires sur des documents d’archives ou des souvenirs familiaux. Il faut donc leur accorder le crédit du sérieux, de la connaissance mise à disposition du public en passant par le filtre du récit romanesque. Un type de récit qui rapproche le lecteur des héros avec moins de rigueur (disons plutôt de raideur) ou de sécheresse qu’un travail universitaire, souvent méconnus du grand public, lequel – semble-t-il au vu des succès des ouvrages – ne s’y trompe pas sur la qualité du contenu de leurs pages…




Vers le côté obscur…
Au fil des pages de « Marie-Jeanne, sorcière de Flandre », Régis Macke rappelle que la Flandre est terre de chrétienté, de ces pays où – encore à une époque récente – on n’hésite pas à appeler le rebouteux où l’exorciste avant de consulter le médecin ou le vétérinaire. C’est un monde où l’inconnu, le mystérieux, le côté obscur attire. Il est omniprésent et il est le pendant de la floraison des retables baroques.

Bref, dans les campagnes flamandes règne un équilibre précaire qui se rompt régulièrement au moment des grandes crises. On a brûlé - il est vrai - de nombreuses sorcières en Flandre, ce qui n’a jamais empêché les Flamands de dessiner des nœuds de sorcières et autres runes sur les façades des maisons et les pignons des églises pour attirer sur elles toute bénédiction imaginable. Avouons à la décharge de nos aïeux que la Flandre fut aussi une des dernières régions évangélisées et que forcément, cela laisse des traces. Morbecque n’aurait donc rien à envier à Salem, la cour des Brigittines non plus… Dans ces 290 pages, Régis Macke égrène le long chapelet des misères du règne de Louis XIVd’une Flandre passée sous une nouvelle souveraineté, soumise aux caprices du climat et où la misère abonde alors que le paysan flamand a toujours été assez riche pour pouvoir mettre du beurre sur son pain ! L’accusation de sorcellerie offrait alors à toutes les rancœurs l’occasion de ressortir, de trouver une explication aux malheurs, de désigner – comme l’auteur le dit si bien – un « bouc-émissaire » au point souvent de trouver des accusées persuadées d’avoir eu commerce avec le Malin. C’est donc autant un théâtre des mesquineries et des trahisons dans les villages qui vivent plus ou moins repliés sur eux-même que la scène d’une gigantesque hystérie collective où l’on peut, par la même occasion, régler ses comptes avec l’accusée. Et puis, la femme fait peur ou est jalousée, l’on en profite : pour un sorcier, mille sorcières… Condamner certes, mais la communauté va plus loin, elle exécute en public, ce qui renforce la cohésion du groupe. L’habileté de régis Macke passe aussi par la description de la mécanique implacable de la rumeur, de la vague déferlante des accusations que la Raison ne trouble pas et de l’engrenage des procès en sorcellerie qui finissent immanquablement par un bûcher, véritable manifestation festive pour les témoins. C’est donc un ouvrage incontournable au même titre que ceux de Robert Muchembled car outre l’histoire, c’est aussi une restitution fidèle des hiérarchies et des cascades de mépris de nos villages de l’Ancien Régime, des peurs, de l’irrationnel. Celui-ci nous a-t-il abandonné ? A voir les recours aux sectes, croyances ou médecines alternatives et autres jeux de hasard, rien n’est moins sûr.


Une autre époque charnière
Plus proche de nous, l’histoire contée par Eric Vanneufville dans « Une vie en Flandre » prend ses racines dans un monde complexe lui aussi, celui de notre terroir à cheval entre plusieurs mondes : la Flandre n’est française que par la volonté de Louis XIV, et ce depuis que la France a compris que ses frontières septentrionales étaient fragiles, mais notre Flandre est irrémédiablement attachée à la Grande Flandre, la Flandre historique et linguistique des Pays-Bas espagnols puis autrichiens qui, en 1830, a donné naissance à la Belgique.
La frontière que l’on avait espéré temporaire, se fige alors définitivement. D’autres mondes se côtoient : la Flandre industrielle des grandes villes et la Flandre rurale des bourgs et des clochers perdus dans les champs de blé et les houblonnières, où les séchoirs à chicorée ponctuent le paysage du Blootland. Autre temps, autres décors : l’auteur place son histoire à West-Cappel au tournant du siècle alors que très vite la région est abreuvée du sang des innocents dans les tranchées de la Grande Guerre. C’est après les ravages dans ces champs de bataille que la reconstruction amène son cortège de modernisations. Les mutations économiques et sociales sont nombreuses mais les transformations se font plus rapides encore, plus profondes et parfois plus traumatisantes après la Seconde Guerre Mondiale. Nouveau conflit, nouvelle occupation, nouveaux sacrifices et reniements.

Quoi ! Encore un roman rural ?
L’apparence est trompeuse ! Ici, l’on décrit les conditions de vie des temps difficiles des guerres comme des reconstructions. On évoque le rôle crucial des femmes en l’absence des hommes partis au front, où généralement, elles remplacent même les chevaux aux champs car ceux-ci ont aussi été réquisitionnés.


Région de frontière, la Flandre est aussi celle où certains hésitent : passer à l’ennemi ou rester fidèle à une République qui renie le droit de parler sa langue, de garder sa culture ? Plus encore, les choix opérés pendant la dernière guerre révèlent des fractures dont certaines ne sont pas encore refermées. Le choix, aussi dur soit-il, aussi réfléchi et pesé qu’il puisse être, divise les familles, brise les cœurs et, une fois la guerre terminée, remet bien des positions en question… C’est encore une fois un monde en profonde mutation, avec ses grands courages et ses petites lâchetés qu’Eric Vanneufville dépeint au fil de ses pages. Mais comme Régis Macke, il s’appuie aussi sur une solide documentation pour animer ses héros et les débats auxquels ils participent. Ici non plus, la question n’est pourtant pas traitée à la légère. On a tant dit sur l’engagement de certains Flamands qu’il fallait bien un roman pour remettre certaines idées, certaines réputations à leur juste place, surtout quand nous les traînons à la semelle de nos bottes dans certaines régions. Le choix de la route à prendre à la Libération pèse aussi cruellement, laissant dans les communautés de nouvelles fractures. N’y a-t-il pas pléthore de publications sur le sujet ? En fait, non, il n’y en a pas tant que cela et de même que l’on puisse parfois dire les choses les plus horribles en plaisantant, Eric Vanneufville réussit à rendre compte de façon plaisante et abordable par tous un sujet aride et souvent difficile, dont les explications échappent souvent au grand public… Quand on parle de vulgarisation, c’est bien dans le sens noble du terme qu’il faille ici l’entendre.

En définitive, deux ouvrages qu’il lire et relire sous peine de passer à côté de moments agréables relevant d’une pédagogie empreinte de légèreté et de sérieux…


Régis MACKE « Marie-Jeanne, sorcière de Flandre », Le Marais du Livre, 2005, 290 pages ISBN 2-914327-08-0, 22 €

Eric VANNEUFVILLE : « Une vie en Flandre » , France-Empire, 2005, 306 pages,
ISBN 2-7048-1010-9, 18 €

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