vendredi 18 novembre 2005

La Reine des Citadelles

Une visite de la citadelle de Lille offre, s’il en était besoin et quand elle est possible, l’éclatante démonstration du génie de Vauban.

S’emparant de la ville espagnole en pleine Guerre de Dévolution, Louis XIV accepte à la capitulation de la ville flamande en 1667 l’idée d’une citadelle. C’est que les Bourgeois ne veulent plus loger les troupes à domicile à cause de la promiscuité mais veulent bien payer les frais d’hébergement … Et puis, ces Flamands sont fidèles à l’Espagne : on s’en méfie. Vauban, préféré à son maître le Chevalier de Clerville, la veut au front nord de l’enceinte urbaine, là où les murs sont les moins bien protégés.

Le roi la désire tant qu’il n’attend même pas que la paix d’Aix-la-Chapelle soit signée pour en ordonner la construction. Les fossés furent vite creusés et la première pierre est posée le 17 juin 1768 ; dès août 1670 : la citadelle était déjà en mesure de soutenir un siège.

La construction est dispendieuse en hommes et en matériaux : on y emploie une soixantaine de maçons, 400 ouvriers, 1.400 paysans. Les charrois sont réquisitionnés, et de toute la Flandre et des régions alentour affluent pierres et briques pour faire sortir les murs de terre. Les chantiers à approvisionner sont nombreux dans cette région à peine conquise et il faut trouver maints expédients pour pallier les difficultés, au coût des pierres et briques. Les derniers grands châteaux médiévaux de la région lilloise sont mis à contribution : on achète les ruines et on transporte les déblais à Lille, on démonte le mur de clôture de l’abbaye cistercienne de Loos (aujourd’hui prison centrale)… Tout est bon pour élever au plus vite le joyau qui doit briller au front nord de la ville de Lille : on n’utilisera des briques neuves que pour les façades bâtiments et du rempart. Vauban va même jusqu’à imposer la brique d’Armentières, plus petite, plus chère, mais tellement plus belle et solide que la lilloise.

Le choix de l’emplacement pose d’emblée un problème : l’on se situe dans une zone marécageuse. Constatant que les églises sont bâties sans pieux de fondation, Vauban fait de même contre l’avis de tous, aujourd’hui encore ses murs sont stables contrairement aux ajouts de ses successeurs.

La citadelle se définit comme un pentagone parfait, avec cinq bastions de belle taille, les courtines sont protégées par cinq demi-lunes qui offrent un réduit défensif ultime car, fidèles au « troisième système » de Vauban, elles sont évidées. Deux portes monumentales permettent d’y accéder : la Porte Royale, face à la ville et la Porte Dauphine, regardant vers la campagne. Au milieu des trois autres courtines, des poternes protégées par des tenailles permettent des mouvements plus discrets. Autour du rempart, fossés en eau, chemins couverts et glacis rejettent au loin toute possibilité à l’assaillant de mettre le siège. A cela s’ajoute une défense temporaire constituée de plusieurs milliers de pieux dressés sur le rempart et les demi-lunes…

A l’intérieur, tout concourt à donner l’idée d’une organisation parfaite : La place d’armes, au centre de laquelle se dresse le mât des couleurs, s’organise autour d’une place pentagonale dont la fausse symétrie perd régulièrement le visiteur.

En passant la Porte Royale dont la façade s’orne d’un gigantesque trophée d’armes aux fleurs de lys de la France ajouté tardivement, l’on aperçoit la chapelle de style jésuite, véritable cœur de la citadelle. On y célèbre alors trois messes par jour car chaque soldat est tenu d’assister à l’office quotidiennement. A sa gauche se dressait le logement du gouverneur, aujourd’hui remplacé par le bâtiment de l’ordinaire. De l’autre côté, à droite, les prisons et l’Etat-major, aujourd'hui affecté à l’infirmerie de garnison.

Il est tout aussi intéressant de se tourner vers l’Arsenal, incendié en 1919. Restauré récemment, il s’ouvre sur une cour intérieure. Sa fonction est annoncée par un imposant tympan sur lequel deux canons de campagne se croisent, accompagnées de drapeaux et de faisceaux d’armes. Très décorées , ses façades sont rythmées par des mascarons portant une fleur de lys surmontée d’une tête de lion, symbole héraldique de la Flandre.
Dans le voisinage immédiat de cet arsenal, on trouve aussi un magasin pour les vivres, une boulangerie et divers bâtiments destinés à assurer l’intendance. Un moulin installé dans l’enceinte de la citadelle est mu par une roue à aubes. Un canal souterrain qui passe sous la Place d’Armes lui fournissait l’énergie nécessaire, parfois en hiver, on peut en discerner le tracé car la neige fond plus vite au-dessus de lui. D’autres moulins le renforçaient et alimentaient quatre fours.

Suite aux conventions de la capitulation, les soldats logent dans des casernes. On peut même dire que ce sont les premières en France. Tout est conçu pour faciliter le rassemblement. Disposées autour de la Place d’armes, elles s’adossent à un pavillon réservé aux officiers. S’il n’en reste plus qu’une dans son état d’origine, il est possible d’y voir le soin apporté à l’ordonnancement des lieux. Les salles du rez-de-chaussée sont disposées dos-à-dos et ont accès direct à la rue. De nombreux escaliers donnent accès directement aux étages. Leurs escaliers démontrent un souci de l’économie poussé. Les premières marches sont en pierre alors que les suivantes sont en bois car ces dernières sont à l’abri. Le mouvement des troupes lors des rassemblements est considérablement accéléré. Les hommes circulent dans les rues établies entre les casernes.



Les poudres sont stockées dans des magasins ménagés à coté des poternes et dans des souterrains creusés dans le bastion Anjou. Les souterrains manquant cruellement, Boufflers dut en augmenter la superficie en ajoutant des planchers à mi-hauteur des galeries.

Hors de cette organisation générale, le génie de Vauban s’exprime aussi par l’adaptation aux conditions naturelles : il s’inspire très largement de ses confrères hollandais tels Coehoorn. Un réseau d’écluses et de retenues permettent de tendre une inondation aux abords de la citadelle pour gêner un siège : sans être un raz-de-marée, on attend qu’elle recouvre 17.000 hectares sur une « épaisseur » de 55 cm… Impossible alors d’y installer un camp, de creuser des tranchées d’approche, de creuser des mines, de bouger rapidement des canons et les hommes… Sans avoir eu toutefois l’ampleur prévue, l’inondation a considérablement ralenti la progression des Coalisés en 1708. La stagnation de l’eau est d’autant plus importante que la citadelle est déjà établie sur un lieu humide, marécageux, il ne peut alors que s’y développer des maladies, la fièvre affaiblissant les troupes.

Pour parfaite qu’elle fut, la citadelle fut renforcée par les successeurs de Vauban : Guittard creusa les tunnels de contre-mine dans les courtines qui font face à la paroisse voisine de Lambersart. Enfin en 1750, on perça enfin le canal de dérivation de la Deûle que Vauban n’avait pu réaliser, isolant complètement les lieux de la ville.

Trois monuments dans le périmètre immédiat du quartier Boufflers rappellent que la ville s’est inscrite durablement dans l’histoire nationale. A l’entrée du chemin d’accès, un pittoresque monument est dédié … aux pigeons voyageurs (dont la non-déclaration était punie de mort par les occupants allemands). Plus en avant se dresse le Monument des Fusillés, en l’honneur des résistants lillois de la première guerre mondiale, notamment du comité Jacquet et de Léon Trulin. A leur entrée dans la ville en 1940, les envahisseurs s’empressèrent de la faire sauter, il fut un des premiers à être relevé par les habitants. Enfin, un monument plus récent rappelle le souvenir du général de Gaulle, natif de la ville.

Siège naturel, historique et affectif du 43e régiment d’Infanterie, l’ancien « Royal des vaisseaux », la citadelle mérite que l’on s’y arrête et profite des visites qui y sont régulièrement organisées.

correspondant-dmpa@tiscali.fr

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