samedi 16 avril 2005

Les dernières vigies...

« Devine d’où je t’appelle ! ». Nul ne peut plus échapper à la communication, même pour la pire banalité. L’on finit même par se demander comment on faisait avant. L’information a toujours été capitale à la bonne marche des affaires. Les armateurs flamands avaient, en leur temps, trouvé une solution pour anticiper car les nouvelles de leurs navires étaient rares : radio et téléphone sont récents, peu de nouvelles hormis les celles données par les navires qui croisaient leurs bateaux. Ils se résolurent à bâtir des tours pour scruter la ligne d’horizon et les devançaient au port, préparant au plus vite les ventes, présumant de la cargaison et de l’état du vaisseau.

Une survivante discrète
La doyenne de ces tours est une vieille dame discrète : il faut être en citadelle pour réellement la remarquer entre les deux beffrois de l’autre côté du bassin. Elevée au XVIIIe siècle, elle est rattachée à la « maison de l’Armateur », cet hôtel particulier de style français bâti en 1748 pour Etienne de Chosal, Général du siège des Traites (les impôts indirects). La construction est simple : une tour de briques coiffée d’une poivrière d’ardoises, des fenêtres éclairent l’escalier et au sommet, des fenestrons offrent une vue imprenable. Mais elle est bien cachée au cœur de son quartier : une ascension du beffroi de St-Eloi s’impose pour la découvrir entièrement. Rare vestige du Dunkerque d’avant 1940, elle est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1984. Le port possédait d’autres trésors avant la dernière guerre. Ainsi, les bombes ont fait disparaître l’Hôtel de la Chambre de Commerce, qui possédait sa propre vigie ainsi que celle qui surmontait l’ancien bâtiment du pilotage construit sur les plans de l’architecte Morel en 1898, n’en laissant plus que la terrasse. La grande bâtisse rouge qui trône près du Pont du Texel, amputée de son observatoire, laisse seule sur le port la vigie qui coiffe le bâtiment du remorquage.

Les souvenirs de la puissance gravelinoise
Hors de Dunkerque, d’autres armateurs connurent une bonne fortune. Gravelines, dans ses dépendances fort-philippoises, avait sa propre armada de cotres et de goélettes. A quelques pas de la mairie, rue Léon Blum, une guérite émerge au-dessus les toits. Edifiée en 1735, la maison échoit au XIXe siècle par héritage à un armateur qui la complète d’une tour placée en droite ligne du chenal. Les lieux abritent aujourd’hui le cabinet d’architecte de M. Wallyn. L’ascension de l’escalier en colimaçon est ponctuée par les portes ouvrant sur la maison. Les fenêtres laissent augurer du paysage que l’on découvre du haut de la plate-forme : le regard y embrasse toute la ville. De là, le maître des lieux attendait le retour de ses navires de leurs campagnes de pêche... et les accueillir avant même qu’ils n’accostent.

Un commissariat qui voit loin
Pas de souci pour les Gravelinois, ils sont bien gardés car un peu plus loin, dans la rue Aupick, se dresse une dernière demeure d’armateur. Pour une visite, c’est différent car, aujourd’hui, la demeure abrite le commissariat. Construite aux XVIIIe et XIXe siècle, elle appartenait à Jules Torris, dont les initiales ponctuent discrètement la façade. La tour de guet est haute, spacieuse et particulièrement décorée. Le toit de zinc, en coupole, reproduit les écailles d’un poisson tandis que les montants de la verrière sont ouvragés, répondant aux sculptures des fenêtres. La demeure est impressionnante bien qu’aujourd’hui, elle ne s’élève plus au milieu du parc qui l’entourait, signe ostensible de richesse dans une ville fermée où l’espace manque singulièrement. Jules Torris pouvait s’offrir ce luxe : ancien juge de paix, il avait opéré une brillante reconversion dans la brasserie, le négoce… et l’armement naval ; bref, une réussite à la flamande.
Comme les maisons de pêcheurs, ces demeures témoignent discrètement des fortunes passées et n’auraient pas déplu à Pierre Loti ou à Garneray...

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