samedi 15 avril 2006

Du haut du beffroi...

Diantre, que je suis haut perché, plus haut que la dunette de mon dernier vaisseau ! Et en plus, je ne suis pas seul ici… Si à Jean Bart, on a élevé des statues et écrits des chansons ; à moi, on offre le plus haut des piédestaux de la côte. On ne m’a donc pas oublié : un estaminet, puis une ville, maintenant une place…. Que demander de plus ?


Depuis quelques semaines maintenant, je veille sur une ville qui n’existait pas lorsque je servais comme corsaire mon Roi, le bien-aimé Louis XIV, Roi de France et de Navarre. Jamais je n’aurais pensé qu’une ville naîtrait avec mon nom, là où je ne voyais que dunes et salines. Pourquoi y aurais-je songé d’ailleurs ? Je n’y possédais même pas un arpent de terre. Le bras armé d’un pistolet, prêt à l’abordage, je suis maintenant chargé de sonner une cloche… Tant que ce ne soit ni pour le tocsin, pour le glas, car Je n’affectionne rien de plus que des airs gais et chantants.


De ma vigie, le regard porte loin. Cela me change des nombreux rivages que j’ai pu scruter du pont de mes navires, des côtes de la Mer du Nord à celles de la Sicile, de l’Angleterre ou des Provinces-Unies.
Corsaire du Roi, que de belles prises je fis pour lui. Rien que le dernier navire que j’enlevai aux ennemis m’emplit encore de fierté. Le Salisbury, un vaisseau fort de 52 canons, que je leur ravis en 1703, était si beau que j’en fis mon propre vaisseau-amiral. Evidemment, je n’aurai pu prévoir qu’un coup de mousquet fatal m’y ferait rendre l’âme à Dieu après l’avoir donné à la France. Je n’avais que 50 ans, j’étais déjà un vieillard pour l’époque… Pensez donc si cela me fait plaisir de retrouver ici un visage jeune et un air fringant ! De retour dans le havre dunkerquois, on m’inhuma près de mon ami Jean, lui le héros national anobli, moi qui naquit chevalier. Si lui resta à Dunkerque, on me retira de ma paisible retraite quelques années plus tard pour me porter en terre de Flavières, près de ma famille.


Mes vêtements sont plus simples que ceux que je portais. Aujourd’hui, point de galons, de rubans, encore moins mon tricorne avec ses splendides plumets d’autruche… J’ai perdu ma cuirasse et mes décorations sont pour moi de vagues souvenirs. Mais ici, qu’en ferai-je ? Cette simplicité me sied. Mes « enfants » saint-polois n’apprécieraient peut-être pas de me voir ainsi apprêté, chamarré d’ors et de pourpres. Ils n’aiment rien de moins, m’a-t-on, que leur ville, la simplicité des honnêtes hommes (et femmes, je le concède, en Flandre elles sont plus égales qu’ailleurs, mon Roi ne voulait pas que nos officiers les épousent), l’ardeur au travail, l’union dans l’adversité et la complicité dans la fête… S’ils chantent la gloire de mon ami Jean et d’un tambour-major au carnaval, peut-être m’honoreront-ils d’une gavotte ou d’un motet lorsqu’ils passeront devant moi? S’ils savent être tout cela, c’est qu’ils connaissent le prix de la vie, qu’elle est dure à gagner... Ils ne faiblissent pas dans les épreuves. A ce que j’ai pu comprendre, ce n’est pas ce qui leur a manqué dans leur ville…Leurs échevins ont bien fait, car ils peuvent être fiers mes « saint-polois » de tout cela.


Descendre de mon piédestal pour les voir de plus près est difficile. Le beffroi est beau, c’est une splendide résidence. Pour cette raison, j’espère qu’ils me rendront visite. Mais pour l’instant, je me contenterai de sonner les heures, tristes ou gaies, de leur journée. Me voilà jacquemart, cela vaut bien toutes les statues. C’est un bien bel honneur qui m’est fait, aussi fier d’être le Chevalier Marc Antoine de Saint-Pol-Hécourt que d’être le père adoptif des cousins de Jean Bart.


Texte publié par LE PHARE DUNKERQUOIS, novembre 2003
à l’occasion de l’inauguration du beffroi de St-Pol-sur-Mer

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