vendredi 20 novembre 2009

Dunkerque dans la tourmente de la Grande Guerre



Avec la défaite de 1870, Dunkerque redevient réellement une place forte grâce à Séré de Rivières.
La ville reçoit de nouvelles fortifications complétées par le fort des Dunes, l’ouvrage ouest aujourd’hui détruit, et enfin le fort de Petite-Synthe.
Dunkerque est aussi ville de garnison de la Marine avec la Défense Mobile (torpilleurs et sous-marins) et de l'Infanterie avec le 110 RI et son régiment de réserve le 310e RI

Les Dunkerquois espèrent que, tout comme le gouvernement, qu’en cas de guerre avec l’Allemagne, la neutralité de la Belgique sera une garantie suffisante. Tout le monde espère en 1914 une guerre courte, limitée à l’été, concentrée dans l’Est, là où sont la majeure partie de nos troupes, limitée dans les mouvements afin de récupérer l’Alsace-Lorraine perdue au Traité de Francfort de 1871.

I. Dunkerque, un rôle de premier plan tombé dans l’oubli

A. La mise en place d’un camp retranché.


2 août 1914 : La France est en guerre. Le gouverneur militaire, le général Bidon met en place le camp retranché de Dunkerque. La ville passe sous autorité militaire, les civils n’accèdent plus aux Postes, les trains sont militarisés et seuls les cafés peuvent ouvrir jusque 22 heures. De plus, les civils doivent se munir de sauf-conduits pour circuler en ville, les Allemands et Autrichiens résidant dans la région sont internés. La digue de Malo est interdite et les portes de la ville fermées à 21 heures sous bonne garde. Garde tellement intransigeante que parfois, des morts sont à déplorer comme en janvier 1918, lorsqu’un soldat belge est abattu parce que voulant entrer après l’heure.


La ville devient un gigantesque centre de mobilisation alors que l’offensive allemande bat son plein. De fait, tous les bâtiments susceptibles de servir à l’Armée sont réquisitionnés : Ecoles, crèches, hospices sont transformées en casernes .



Pire encore, la ville, proche de la frontière belge et finalement assez proche de la zone de combat, recueille les services de la préfecture au rez-de-chaussée de l’Hôtel de ville alors que le gouvernement belge en exil s’installe au premier étage dès septembre 1914



Cependant, avec le départ du 110e RI le 6 août puis du 310e RI le 10, la ville manque cruellement de défenses, les troupes qui débarquent au port ou à la gare ne font que transiter, qu’il s’agisse de régiments d’active ou des Territoriaux, les «pépères» qui ont repris du service. D’ailleurs les deux régiments de Territoriaux de Dunkerque eux mêmes sont sous-équipés.



Au moment où l’issue de la première bataille de la Marne est incertaine, l’on réalise que les Allemands pourraient bien être rapidement aux portes de la ville. A plus forte raison que la «course à la mer» commence. Le Général Bidon se résout le 26 août à ordonner l’évacuation des «bouches inutiles» !


La ville devient une vaste enceinte militaire ! La campagne environnante se désole car l’on laisse les wateringues se gonfler d’eau pour inonder les Polders.



Rapidement, les différentes communes reçoivent leurs troupes sitôt la bataille de la Marne terminée
- l’infanterie se positionne à Malo et Rosendael
- les services de santé et le génie à Saint-Pol-sur-Mer
- artillerie et cavalerie cantonnent au hangar aux sucres et au hangar aux textiles
- les hôpitaux, écoles, hospices deviennent hôpitaux militaires et pas que pour les blessures au combat, il faut aussi, comme en septembre 1914, tenter de soigner l’épidémie de fièvre typhoïde ! On trouve même un hôpital militaire belge dans le patronage de l’église Saint-Benoît de St-Pol jusque mai 1915 !



- les Fusiliers-marins de l’Amiral Ronarc’h s’installent à st-Pol et y reçoivent d’ailleurs leur drapeau des mains du Président Poincaré en Décembre 1914, dès leur retour de leur premier engagement dans l’Yser.


B. un avant-poste anglais

Le 6 septembre 1914, 14 officiers et 80 soldats britanniques prennent leurs quartiers au terrain d’aviation de Saint-Pol-sur-Mer. L’ancien sanatorium reprend des fonctions mais militaires.



4 jours plus tard, le Premier Lord de l’Amirauté, un certain Winston Churchill vient visiter le camp retranché. Nous sommes en pleine Entente Cordiale, les alliances jouent à plein. Promettant l’arrivée prochaine de troupes britanniques, la ville s’apprête à les accueillir, d’abord chez l’habitant puis dans un vaste camp de toile établi sur les Glacis avant de partir pour Cassel à la fin de septembre. Désormais, la guerre est une réalité tangible pour les Dunkerquois !

En septembre 1914, la station-magasin de Dunkerque est créée sous autorité anglaise
Son rôle est de première importance : elle doit servir de gare de régulation pour approvisionner 200.000 hommes et 60.000 chevaux. Tous les services y sont rassemblés
- le hangar aux textiles devient une boulangerie (150.000 pains par jour pour 15 fours)
- avitaillement des navires anglais

Chaque jour, c’est 1.500 wagons de munitions qui transitent par le port pour le front !



Pour accélérer les cadences, les Anglais enrôlent, outre des prisonniers de guerre allemands, des dockers britanniques «militarisés» logés dans les entrepôts aux tabacs, mais ils s’avèrent vite insuffisants. En 1917, on embauche des Egyptiens mais ceux ci s’éparpillent dans la panique lors des bombardements et sont donc retirés rapidement du travail. Ils sont vite remplacés par des coolies chinois, à Saint-Pol et à Rosendaël pour travailler à Firminy. Civils, ils sont pourtant consignés dans leurs villes respectives.

Son chef, le colonel anglais Marescaux ne manque donc pas d’ouvrage !
Les habitants mesurent le danger mais en seront réellement convaincus en décembre 1917 en apprenant qu’au Canada, à Halifax, le feu d’une collision entre trois navires s’est propagé à plusieurs milliers d’obus : plus de 2.000 morts, 3.000 blessés, 3000 immeubles détruits et 25.000 sans abris.

C. une gigantesque base logistique


Tout ce qui peut contribuer à l’effort de guerre est mis à contribution. Ainsi,
- les chantiers de France diversifient leurs activités : les tôles des paquebots servent à blinder les automitrailleuses anglaises, les locomotives et les wagons
- les filatures et les ouvriers à domicile fabriquent des sacs à emplir de terre
- les enfants des écoles confectionnent des pansements puis à partir de mai 1915, des masques en tissus, dérisoires défenses contre l’ypérite pour lesquels la consigne est claire, avant de les porter, il fait les imbiber d'urine... Protection dérisoire s'il en est...


Les Alliés s’adaptent rapidement à la nouvelle situation. Le terrain d’aviation Saint-Polois accueille de plus en plus d’unités. On s’y bouscule mais le terrain s’avère vite trop petit et mal placé car en bord de mer. Dès mai 1915, il faut se résoudre à créer des terrains de desserrement un peu partout : à Téteghem au hameau de Notre de Dame des Neiges, à Coudekerque-Branche, Bierne, à Bergues, à Ghyvelde…


Et puis, pour le moral des troupes, des as passent par le terrain de Saint-Pol.
Tout d’abord Roland Garros, le vainqueur de la Méditerranée arrive en mai 1915 mais le 17 avril, il est abattu en bombardant la gare de Courtrai, s’écrase derrière les lignes ennemies et est fait prisonnier… jusqu’à son évasion en janvier 1918. Malheureusement, il n’obtiendra jamais sa cinquième victoire qui lui donnerait le statut d’as.



Passent aussi sur le terrain Herteaux, Dorme, Nungesser le « Hussard de la Mort » mais surtout les Cigognes avec Fonck et Guynemer qui décollera de st-Pol pour la dernière fois le 11 septembre 1917 et qui côtoie là quelques semaines l’escadrille américaine Lafayette.

D. La naissance de nouvelles armes



Les Français ne sont pas en reste pour tenter de juguler la menace allemande. L’avant port et les chantiers de France deviennent une base de l’aéronautique navale, inventée pour l’occasion. Des hydravions chargés de la surveillance maritime de la lutte anti-sous-marine partent de Dunkerque et mènent des missions difficiles et dangereuses.



C’est ainsi qu’ils abattent le Zeppelin L12 lors de son retour à Ostende après un raid sur Londres en août 1915. Le premier centre d’aviation maritime est donc Dunkerquois, ce que peu de gens savent. Parmi eux, le père de l’aéronautique navale française, l’enseigne de vaisseau Teste. La base sera cependant abandonnée en mai 1917 et les hydravions envoyés en Méditerranée. Ce qui n’empêche pas l’unité de recevoir la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre et deux citations à l’ordre de l’Armée.

Les Anglais, puis les américains créent aussi leur aéronautique navale à Dunkerque, au plus près du théâtre des opérations !


II. Une ville sous le règne de la peur

A. des attaques aériennes presque quotidiennes

La panique peut gagner facilement une population, surtout lorsqu’elle est au courant des atrocités provoquées par les troupes allemandes dans leur avancée. Ainsi, la peur devient psychose le 14 octobre 1914 lorsque la foule confond le coq de l’église Saint-Eloi et un Zeppelin, condamnant le volatile de bronze à un séjour forcé à l’ombre ! C’est que le monstre de toile et d’acier fait planer une menace terrible et l’on connaît les ravages qu’il a faits par ailleurs ! En mai 1915, les aviateurs avaient déjà endommagé le L39 lors de son retour à Ostende mais il n’avait pas frappé la ville…

Les Dunkerquois ne lui échapperont pas. Le 2 avril 1916, le LZ 21 du capitaine Schramme survole la ville, il n’est que 22h45. Le parcours du monstre murmurant passe près du port. Le maire Terquem signale l’événement dans un courrier à Trystram «Voici une nouvelle distraction à notre actif, nous en manquions. Nous avons reçu hier au soir en quelques minutes onze bombes d’un Zeppelin. C’est coquet et rapide…»


Le même mois, la première victime de bombardement aérien décède : un petit vendeur de journaux de 12 ans ! En tout 434 raids aériens auront pris la ville pour cible ! Et ce de jour comme de nuit !

Parfois, cependant, on observe de curieuses choses : le 17 décembre 1914, un aviateur allemand passe au dessus de Petite-Synthe et y largue un paquet de lettres. Parmi celles d’aviateurs français prisonniers adressées à leurs familles, la missive d’un colonel allemand désireux de savoir où est enterré son fils défunt. Mais les gestes chevaleresques sont rares et les colis largués par les Allemands nettement plus explosifs !



Il faut donc trouver des parades : des guetteurs, comme au Moyen-âge prennent leur quart en haut des beffrois de Saint-Eloi et de Bergues, usent du tocsin, d’un drapeau bleu et blanc puis de sirènes pour alerter la population qui désormais apprend à courir dans les caves et les trop rares abris creusés sur les places et dans les jardins. Les villes accueillent de nouveaux canons et des mitrailleuses lourdes sur les toits qui peuvent les supporter mais c’est encore insuffisant ! A Noel 1914, le capitaine Ziegler, fils du constructeur naval, invente même un affut spécial pour transformer les canons de 75 en arme anti-aérienne ! Ce n’est qu’en janvier 1918 que sont installés fumigènes et ballons captifs pour gêner l’approche des Allemands mais cela reste globalement inefficace.



Les armes utilisées sont effroyables : bombes incendiaires comme à l’usine Vancauwenberghe de Saint-Pol (comptoir linier) touché le 15 novembre 1915 par des bombes incendiaires alors que 1.500 personnes y travaillent (miracle, il n’y a alors que 14 blessés), explosifs, mais aussi des fléchettes d’acier qui, avec l’inertie, traversent les corps de part en part !



Aucune cible n’est épargnée : le port, les terrains d’aviation, les usines comme Firminy, mais aussi les villes elle-même. Même les hôpitaux ne sont pas épargnés !
La façade de Saint-Eloi en garde encore aujourd’hui les stigmates !
La fréquence aussi ajoute à la peur. Si les raids sont de plus en plus souvent nocturnes, il faut parfois subir plusieurs raids dans la journée comme le 19 mai 1916 où les Dunkerquois subissent trois raids successifs.


Les bombes heureusement ne choisissent pas où elles tombent. Le 6 juin 1917, les aviateurs allemands bombardent leur propre consulat à Dunkerque… On n’est jamais trahi que par les siens !

Seulement les abris manquent et face aux pénuries, les maires s’organisent sous la direction de Léon Marquis, le maire de Saint-Pol, afin de parler d’une seule et même voix, à eux de mettre une pression très efficace sur les autorités militaires pour obtenir de nouveaux abris pour les civils. L’ancêtre de la CUD en somme…



Ceci dit, le moral remonte un peu à partir de la Toussaint 1917 car les autorités militaires ont décidé d’exposer au pied de Jean Bart les épaves des appareils ennemis abattus dès que c’est possible. Plus encore lorsque les dockers australiens de Newcastle envoient 8.500 francs pour les veuves et orphelins des dockers dunkerquois, reconnaissance des sacrifices.

B. La guerre en mer

Les Allemands mettent en œuvre des sous-marins spécialisés dans le mouillage de mines sous-marines. Celles-ci se posent sur le fond marin et attendent le passage de navires pour se déclencher. Parfois, celles-ci viennent d’échouer sur la plage de Malo. Les U-boote basés à Ostende mènent une chasse acharnée aux navires Alliés depuis que le Kaiser a décrété le blocus maritime.



On sait que ce blocus ne peut être que terrible et c’est une population sous le choc qui apprend que le paquebot Lusitania a coulé par les Allemands le 7 mai 1915, si un paquebot civil par définition est envoyé par le fond, que craindre pour les goélettes islandaises comme pour les chalutiers ? La guerre est totale : le paquebot britannique Majola saute sur une mine entre Douvres et Folkestone le 27 février 1916 perdant 155 passagers. Il ne faut pas aller loin pour vivre des drames.
Les compagnies Bordes et surtout la CBVN, la Compagnie des Bateaux Vapeurs du Nord perdent une part non négligeable de leurs flottes…



Les Alliés ne sont pourtant pas en reste : très régulièrement les monitors anglais quittent Dunkerque pour effectuer des patrouilles de conserve avec les torpilleurs français dans le cadre de la Dover Patrol comme pour mener des raids contre Ostende, tellement forts que l’on peut entendre les coups jusque sur la digue de Malo.

Les marins prennent une part active à la défense de la ville, et ce contre toutes les attaques possible : ils descendent le 17 décembre 1915 un hydravion allemand qui retourne à Ostende et font prisonniers ses pilotes.

D’autres font des prises curieuses. Le 1er mars 1916, un ballon d’observation allemand Drachen rompt ses amarres et atterrit à quelques mètres de l’Usine Lesieur de Coudekerque-Branche, un second tombe en pleine mer près de Koksijde et est ramené à Dunkerque par le cordier l’Annonciation.

C. Sous la menace des canons géants

Paris connaissait la Grosse Bertha, Dunkerque et l’agglomération ne sont pas en reste.



Le 28 avril à 1915, une sourde détonation se fait entendre à 8 h 30. Personne n’a entendu de sirène, vu d’avion. Les dégâts sont énormes : des cratères de 8 à 10 mètres de diamètre, de 4 à 5 mètres de profondeur, des éclats de plusieurs kilos sont retrouvés. La menace est réelle, car les tirs se répètent. Le gouvernement belge préfère prendre ses distances et se réfugie à Bourbourg. Il faut plusieurs jours pour démasquer le coupable : un canon de marine de 380 mm, destiné initialement à un croiseur lourd, est installé à Predikboom, près de Dixmude, capable de tirer des obus de 800 kilos à 40 kilomètres de distance. Il est impressionnant, dissimulé sous une casemate d’acier et protégé par des murs de béton… Une véritable forteresse élevée dans le plus grand secret ! Les tirs sont nombreux et dévastateurs, les pertes effroyables et parfois inattendues comme pour une dunkerquoise qui se trouve dans son couloir et que l’explosion la projette par au-dessus de sa maison. Pour donner une idée de leur puissance, lors d’un tir contre Hondschoote en août 1915, le seul obus retrouvé sur les deux, et qui n’ont pas éclaté, s’est enfoncé à 11 mètres sous terre… on cherche encore l’autre !

Il n’y a pas que des pertes humaines, on craint aussi pour les symboles : en juin, le canon de Prédikboom manque d’anéantir Jean Bart en juillet 1915. Un obus de 380 tombe à quelques mètres de la statue, projette en l’air 3 à 400 pavés qui retombent sur les maisons de la place mais évitent – miracle ? – la statue du héros !
L’église Saint-Eloi quant à elle, reçoit des charges de plein fouet et commence à crouler sous les bombes au point de n’être plus qu’une vaste ruine, murs crevées, voutes effondrées… obligeant les fidèles à suivre les offices à la chapelle des Rédemptoristes. Des cartes postales circulent en France, l’érigeant en martyr au même titre que la cathédrale de Reims, incendiée dès le début de la guerre.



Qu’importe, pour anéantir Prédikboom, on envoie en Belgique libre une flottille de canons lourd sur rails et un canon de 155 doit donner l’alerte en cas de tir, ne laissant que 98 secondes pour réagir, 98 secondes, le temps que met l’obus pour arriver à destination !



Mise hors d’état de nuire en 1916, l’année suivante c’est le Lange Max de Leugenboom, dans la banlieue d’Ostende qui prend sa relève : la batterie Pommern tire des obus de 700 à 900 kilos en fonction de la charge et le protègent par des batteries de 280 mm installées sur l’hippodrome d’Ostende. Ses tirs sont précis et dévastateurs comme le 11 septembre 1917 où un de ses obus détruit une maison de l’avenue Maurice Berteaux à St-Pol ; tellement puissant qu’il faut plusieurs jours pour sortir les victimes des décombres. La batterie vise aussi les villages des Flandres intérieures. A Dunkerque, seule Fort-Mardyck n’est pas touchée, non pas par « humanité » mais parce qu’hors de portée. Les Allemands le laissent intact quand ils évacuent la position mais les Belges le sabotent au cas où l’ennemi reviendrait. Jusqu’à sa destruction définitive par les Allemands en 1940, il est de bon ton de s’y rendre en pèlerinage et de s’y faire photographier… dans la gueule du canon lui même !




III. entre peur et privations

A. la fête est finie


Dès le début de la guerre ; plus de défilé de la Saint-Martin avant 1916, plus de carnaval, plus de procession de la chandeleur dès février 1916. A chaque fois, l’on avance à juste titre que la foule, fut-elle en train de célébrer un événement religieux, offrirait une cible de choix. Il faut d’ailleurs attendre 1918 pour que les troupes défilent à nouveau pour la fête nationale.


Estaminets, cabarets, restaurants et cinémas sont restreints dans les heures d’ouverture. D’ailleurs dès novembre 1916, on va jusque décider qu’ils fermeront à 21 heures et feront relâche un jour par semaine ! Et puis, entre attaques aériennes nocturnes et restrictions par manque de houille pour faire du gaz, l’on restreint à partir de novembre 1916 l’éclairage publique : plus de magasins éclairés après 18h sauf le samedi excepté les boutiques d’alimentation, les pharmacies et les tabacs. Très vite, les commerçants préfèrent fermer boutique à l’heure fatidique.


Dès le début de la guerre, les restrictions se font sentir mais le plus dur reste le manque de charbon pour les familles. C’est que dès 1914, le pays minier est en zone occupée. La pénurie est telle que durant le terrible hiver de 1916-1917, les militaires doivent même avancer du charbon à la municipalité.


Côté assiette, c’est un peu la même chose : l’hiver 1915-1916 est pluvieux, les récoltes sont compromises, les paysans n’ont pas assez de fumures car les bêtes ont été réquisitionnées par l’armée, d’ailleurs ce sont souvent les femmes qui doivent tirer les charrues. Quant aux engrais chimiques, ils sont devenus un rêve inaccessible puisque leur composant sert à la fabrication des explosifs. Les récoltes de 1916 -1917 seront mauvaises elles –aussi. La ménagère aura du mal à trouver du pain à moindre frais. L’on se met même à planter du tabac et à récolter les feuilles de groseillier.
La situation empire en 1916 au point que le magasin municipal est obligé d’acheter des tonnes de pommes de terre pour que les familles puissent se nourrir.
Les rations sont de plus en plus maigres, les étalages de plus en plus vides !

En mai 1917, les boucheries, sauf les chevalines sont obligées par décret à fermer deux jours par semaine.



D’ailleurs, le Journal Officiel du 29 janvier 1917 ferme les pâtisseries les mardis et mercredis et interdit la consommation de gâteaux dans les endroits publics ces jours-là, pour finalement les y interdire totalement en décembre ! En janvier 1918, les pâtisseries sont obligées de fermer à l’épuisement des stocks.

La monnaie manque aussi régulièrement. En novembre 1915 apparaît à Dunkerque un nouveau système monétaire : les commerçants inscrivent la valeur de la monnaie qu’ils rendent et l’acceptent ensuite contre les marchandises. Plus assez de métal pour fabriquer des pièces car les alliages utilisés sont devenus des matériaux stratégiques. Quant aux pièces « blanches », il y a déjà belle lurette qu’elles sont cachées dans les bas de laine, même les emprunts d’état à 5% ne rencontrent pas de succès, il est vrai que placer l’argent alors que les temps sont plus qu’incertains n’est pas facile.

La pénurie est telle que la chambre de commerce de Dunkerque distribue dès janvier 1916 des bons émis par la Banque de France mais la question est là même : on peut tenter de remplacer la petite monnaie mais pour acheter quoi ?

D’ailleurs l’Etat n’est pas toujours généreux car il faut poursuivre l’effort de guerre. Voilà que le 1er janvier 1916 entre en vigueur un nouvel impôt qui vient s’ajouter aux autres : l’impôt sur le revenu passe assez mal (et encore aujourd’hui) alors que les salaires sont gelés et que les pénuries et le rationnement font grimper les prix au-delà du raisonnable.

Parfois, il est des pénuries qui font plaisir : le 1er mars 1916, c’est l’usine d’huile de foie de morue de la rue Emery qui flambe malgré une neige abondante, provoquant la joie des enfants de la ville. Autant le dire, pour eux la perte est «irréparable» !


B. Le temps des abus et de la solidarité

Comme lors de chaque guerre, les profiteurs se multiplient. Le 19 janvier 1916, un commissaire de police expulse du marché une Coudekerquoise qui vend son beurre 3,50 francs la livre alors que le cours est à 2,70 ! Un marché noir se développe même mais peu se plaignent car la dureté des temps n’est pas aussi terrible que dans les zones occupées.

Cela n’empêche nullement les rumeurs liées à une inflation galopante : En août 1915 circule le bruit que des commerces obligeraient les clients à acheter du café pour acquérir du sucre. Les deux sont déjà hors de prix ! De fait, les pouvoirs publics interviennent en gelant certains prix comme celui de la chicorée en août 1916. Seul souci, le prix de vente est plus bas que le prix auquel les commerçants l’achètent. En mars 1917, c’est au tour du sucre dont le prix et gelé puis soumis au rationnement.

Il faut aussi faire avec certains boulangers qui n’hésitent pas à forcer la balance en ajoutant de la sciure à la farine pour rendre le pain un peu plus lourd…

La solidarité ne disparaît pas pour autant : les enfants des collèges Lamartine et Jean Bart en 1915 comme en 1916, ne demandent qu’à ne recevoir que leur certificat d’études. Les livres de prix seront, à leur demande, transformés en colis pour l’œuvre des prisonniers de guerre à qui il faut aussi envoyer du pain tant les conditions dans les camps allemands sont difficiles.




La fin de la guerre arrive finalement avec des évènements qui s’enchainent de plus en plus rapidement. Le 17 octobre 1918, Ostende est libérée tout comme Lille, trois jours plus tard, la Royal Navy quitte Dunkerque et ferme la station-magasin. La ville continue de travailler pour l’effort de guerre, d’ailleurs, l’école pratique des garçons est citée à l’ordre de la nation pour son dévouement. Petit à petit, la vie reprend mais la foule ne quitte quasiment plus la façade du Nord maritime où sont affichées les nouvelles quand finalement tombe la nouvelle : l’armistice entrera en vigueur le 11 novembre à 11 heures. La ville se pare de couleurs, la nuit des airs de fête. Commence alors une nouvelle vie pour les Dunkerquois entre retour des hommes, reconstructions et fin progressive des restrictions et autres rationnement. Dunkerque œuvrera encore en accueillant 700.000 rapatriés militaires en transit par le port et des milliers de tonnes de denrées pour les villes sinistrées durant de longs mois encore.



Dunkerque, encore une fois, a bien mérité de la patrie et les prestigieuses décorations qui ornent ses armes en fon foi, dommage que la France ait si vite oublié que si le front nord a tenu, c’est grâce à notre agglomération.

(conférence donnée à l'ADRA le 8 octobre 2009)

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