Jean-Luc Delaeter, un homme sous la mer !
Frères d'armes pour toujours. C'est ainsi que Jean-Luc Delaeter appelle les sous-mariniers avec lesquels il a plongé, avec lesquels il a vécu des aventures en tout genre à la surface aussi.
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-->C'est ainsi. Jean-Luc Delaeter a sa famille officielle, une épouse pour qui il a quitté le pompon et deux filles qu'il adore. Et il y a ses autres frères, compagnons d'un autre sexe, encore fidèles trente ans plus tard. «Les sous-marins, c'est un monde spécial et particulier. La fraternité n'y est pas un vain mot», raconte Jean-Luc Delaeter. Lui qui, dans sa vie de civil est devenu un syndicaliste actif au sein de la CGT, et qui sait ce que veut dire la solidarité, met encore à part ses années militaires. «On a besoin d'un coup de main, pas de problème. Les sous-mariniers sont des types qui n'oublient pas ce qu'ils ont vécu ensemble».
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«Une déflagration sourde...»
La soixantaine de gars (les femmes ne plongeaient pas au XXe siècle) qui étaient avec le Dunkerquois dans le Dauphin en 1975 doivent ainsi tous se souvenir d'un rab' mémorable. «On rentrait à Lorient après 45 jours de mer, certains fumaient déjà leur première clope sur le kiosque, on était à la hauteur de l'Ile de Groix (à 7 milles de la base seulement)... quand on a fait demi-tour. On devait repartir dans le golfe de Gascogne, car un sous-marin non identifié avait été détecté».
En cette période de guerre froide, il ne s'agissait pas de laisser naviguer n'importe qui dans l'Atlantique...
«Sur place, on a plongé, et en plein repas, on a entendu une déflagration sourde... On était une vingtaine dans le poste, à se regarder. On est remontés en vitesse avec une pointe importante, les assiettes glissaient sur le formica des tables et dégringolaient... On a su par la suite que les avions envoyés de Lann-Bihoué (la base aéronautique) nous avaient pris par erreur pour les vilains».
Aujourd'hui, Jean-Luc en sourit. Mais à l'époque, inutile de dire que le cap avait vite été remis sur Lorient sans demander son reste... «Les pachas (c'est ainsi qu'on appelle les commandants), on a raison d'avoir confiance en eux. Ce sont des gens expérimentés, qui font passer la vie de leurs hommes avant le matériel». Des hommes qui mènent évidemment, au large et sous la surface, une vie à part. Promiscuité, dureté, risque... Des conditions qui expliquent les valeurs qui les animent.
«Là, c'est 24h/24 ensemble pendant six ou sept semaines. Et à la caserne, il n'y avait pas de cadenas sur mon armoire tant on avait confiance, comme une famille. A tel point qu'en permission, on s'invitait chez l'un chez l'autre sans arrêt".
Un sens du partage qui allait... jusqu'au lit, au sens propre du terme. «Il y avait deux couchettes pour trois. Le troisième, toutes les huit heures, il devait aller prendre son poste» Un travail posté donc, mais sans la distinction entre le jour et la nuit. «Dans le sous-marin, ce n'est pas le noir, au contraire, c'est toujours la lumière allumée. On repérait la nuit quand c'étaient des lumières rouges».
Evidemment, pendant les marées (la durée passée en mer), on oubliait aussi le ciné ou la télé. «On n'avait que nos postes K7. Et le vieux jeu de tarot n'était jamais loin».
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A Lisbonne avec les Américains
Ce minimalisme à bord expliquait sans doute les excès des escales, elle aussi mémorables. La plus marquante pour Jean-Luc ? Elle a eu lieu à Lisbonne, avec les forces de l'OTAN, à laquelle la France n'adhérait pas encore. «On était avec les marins du Saratoga, qui revenaient du Vietnam avec les derniers GI's», raconte-t-il. Mais les ports de Caen, Bordeaux, Dublin ou Edimbourg gardent aussi des traces des passages des sous-mariniers. Humidité permanente, chaleur suffocante (60°C sous la coque au passage du détroit de Gibraltar)... Inutile de dire que la boîte à souvenirs déborde, les bons remontant facilement à la surface, les mauvais coulant les uns après les autres. Et dire que le jeune Jean-Luc a failli ne rien connaître de tout cela. Le natif de Petite-Synthe, dont l'appel du large était attisé par les films de l'époque (Torpilles sous l'Atlantique avec Robert Mitchum par exemple), s'est en effet heurté à l'opposition maternelle. «Ma mère me disait "pas question". Et à l'époque, il fallait que les parents signent pour pouvoir s'engager.» Alors Jean-Luc a menti, pour faire ses "trois jours", puis rejoindre la Marine.Avec le recul et la sagesse, et même s'il est conscient que les temps ont changé, Jean-Luc Delaeter recommanderait sans hésiter aux jeunes de se tourner vers les sous-marins. «D'autant plus que les sous-mariniers n'ont jamais de difficulté pour trouver un travail après. Ils ont une formation permanente, et sont psychologiquement bien préparés car ils n'ont pas le droit à l'erreur. Une personne qui fait une bêtise, c'est le fond».
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Christophe BERRIER
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CV Express
L'histoire d'amour de Jean-Luc Delaeter avec la Marine débute quelques jours après la Saint-Valentin, le 18 février 1974 lorsqu'il intègre le centre de formation maritime d'Hourtin (Gironde). Deux mois plus tard, le voilà au Groupe des écoles de mécaniciens à Saint-Mandrier (Var). Retour sur l'Atlantique en août 1974, Lorient plus précisément, où il intègre l'équipage du Dauphin.En mars 1975, sur la même base bretonne, il est affecté au Requin, le sous-marin sur lequel il demeurera le plus longtemps. Puis direction la Manche, où il assistera à la construction de La Praya II. Au total, près de quatre années au service de la Marine, dont 2 ans, 10 mois et 7 jours à la mer.
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