mercredi 30 juillet 2008

Le combat de la LICRA pour que Dunkerque «reconnaisse son passé»

Privée de la salle Jean-Bart de la mairie dont elle pensait pouvoir disposer, la LICRA avait dû annuler son exposition interactive du 31 mai «Dunkerque au temps des marchands d'esclaves». Seule une présentation à bord du «Duchesse-Anne» du 19 au 24 mai a eu lieu pour 180 élèves de CM2.
PAR BENJAMIN CORMIER
dunkerque@lavoixdunord.fr
Bordeaux, Nantes ont été des ports négriers. Mais sait-on que Dunkerque, grand port de course du XVIIe siècle, a pratiqué la traite pendant près de 80 ans, ce qui en fait le neuvième port négrier de France ?
La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) de Dunkerque, qui poursuit son action engagée en mars avec la création d'un fonds documentaire offert à 27 établissements scolaires sur les thèmes de l'esclavage et de la Shoah, compte bien faire aboutir un jour son projet d'exposition. Claudine Germé, missionnée pour cette démarche, regrette que celle prévue le 31 mai ait été «annulée faute de salle libre à la mairie». «Il est déjà difficile de mobiliser et de faire travailler en synergie plusieurs associations, mais si en plus on y greffe des problèmes logistiques extérieurs, on sape à mon avis la confiance dans le pouvoir et le fonctionnement de la démocratie participative locale et on risque fort de décourager toute initiative
Pour la LICRA, il importaitque Dunkerque célèbre aussi le 160e anniversaire de l'abolition française de l'esclavage et de la traite des Noirs. «Ce travail de mémoire est un travail citoyen qui permet à la collectivité et aux individus de rappeler les enjeux de la devise républicaine», ajoute Claudine Germé.
Des faits.
- De 1713 à 1792, 44 expéditions ont été armées pour acheter des esclaves en Afrique et les revendre dans les îles contre du sucre ou du coton, par exemple. «Plus que les chiffres ou les dates, rappelle Claudine Germé, qui a abondamment consulté les archives disponibles à Dunkerque sur cette question, ce qui compte, c'est la réalité de ce commerce au sein de la cité, qui reflète aussi la société de cette époque. Dunkerque n'a été ni un grand ni un petit port négrier, pourtant avec le départ de La Diligente pour la Guinée, il avait probablement tenté l'aventure en 1684, quatre ans avant le premier départ nantais.» Comme partout, il s'agit alors d'un commerce, aléatoire, qui peut échouer ou rapporter gros. Entre la pêche ou la course, les notables y placent une partie de leurs capitaux, participent à l'armement de négriers non dunkerquois et nouent de solides relations d'affaire avec les autres ports ou les îles à sucre. Selon les archives municipales ou le centre de documentation du Musée portuaire, ouverts à tous, on apprend ainsi que pendant trois ans, Emmery-fils financera la fille d'un planteur martiniquais qui deviendra impératrice : «Joséphine de Beauharnais, future femme de Napoléon Ier qui n'oubliera pas Emmery, maire de Dunkerque, raconte Claudine Germé. Des Dunkerquois sont aussi planteurs, tel Dominique Lemaire, oncle de Fockedey et témoin de l'insurrection des esclaves à Saint-Domingue, ou Joseph Deswaen, qui léguera une partie de sa fortune à l'hôpital général de Dunkerque en y laissant une "négritte" (jeune négresse) avant de mourir en 1753
Des racines ancestrales.-
L'exposition de la LICRA, si elle voit le jour, s'attachera à (re)dire que l'esclavage remonte à -3 500 ans avant J-C et qu'aux origines, il n'était pas lié à la couleur de la peau, mais aux guerres. «Les prisonniers de guerre sont alors asservis au lieu d'être tués», note Claudine Germé. La traite, le vrai commerce, débute au VIIe siècle pour les musulmans.
Comme ils n'ont pas le droit d'asservir leurs coreligionnaires, ils s'approvisionnent indifféremment en Blancs ou en Noirs en Europe ou en Afrique. Ainsi, même des Dunkerquois tombent entre leurs mains. Certains, comme le capitaine Robin en 1740, sont parfois rachetés grâce au tronc des esclaves de l'église Saint-Éloi. En Europe, il faut attendre le XVe siècle pour que débute le commerce des Noirs. Avec la traite, l'esclavage devient clairement racial et raciste, les esclavagistes devant justifier et légitimer ce trafic que des voix commencent déjà à condamner. » •

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La présence d'esclaves à Dunkerque
Il n'existe officiellement plus d'esclaves en France depuis l'édit royal du 3 juillet 1315 dans lequel Louis X affirme que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc (...) le sol de France affranchit l'esclave qui le touche ». En 1716, 1738, 1777, l'interdiction est répétée.

Ces rappels témoignent de ce que les colons, les capitaines ou la noblesse de cours reviennent en France avec leurs domestiques, esclaves de compagnie ou à former. «Dunkerque n'échappe pas à la règle bien qu'il n'existe pas de population noire», souligne C.Germé. Le Code Noir de Colbert, de 1685, donne à l'esclave un statut d'objet en le définissant comme "un bien meuble". Toutefois, il fait obligation à leurs propriétaires de les baptiser selon le rite catholique.» On retrouve dans les registres paroissiaux dunkerquois le baptême d'un «nègre Morien» en 1711, de deux «nègres Congo» en 1738 et 1740 et d'un «Nègre de Guinée» en 1742, en dépit des interdictions royales.
Un reçu de 1752 qui fait référence à un «négrillon» ayant appartenu au sieur Agogué. Revenu des îles se faire soigner chez lui, ce dernier avait provoqué involontairement un attroupement de 200 personnes sur le port. Décédé au cours de la traversée, il avait emporté avec lui son «nègre» et une caissette pleine d'or. Le «nègre» s'étant fait conduire chez le parent de son maître, deux huissiers l'ont enlevé avec sa clé, l'or a disparu et le «nègre», que tout le monde savait innocent, a fini en prison.
En 1784, raconte aussi C. Germé, le frère du contre-amiral Vanstabel, capitaine du navire Dames Elisabeth et Victoire rapporte à son armateur Bonnaventure Tresca un souvenir de son voyage de traite : Malbroucq. « Joli petit nègre, seul même à son bord de son âge d'environ 9 ans, bien formé (...) je vous l'apporterai et espère que vous en serez satisfait», disent les archives. L'histoire ne le dit pas, mais Malbroucq débarque à Dunkerque en 1784, et après cela, on perd sa trace.
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Le neveu de Jean Bart
Parmi les neveux de Jean Bart (1650-1702), on trouve son presque homonyme Pierre-Jean Bart, lui aussi capitaine et corsaire. En 1749, ce neveu accepta le commandement d'un navire négrier dunkerquois de 120 tonneaux : «La Flore», armé par Pierre Tuggh.

Le 1er mai 1750, il écrit de Saint-Domingue à son armateur : «J'ai eu une maladie mortelle provenant du chagrin de voir la traite si mauvaise, et ne pouvant faire autrement à cause des Anglais qui ont chassé tous les navires français de la côte».
Sur les 437 esclaves qu'il avait « traités » pendant huit mois et demi en Afrique, 108 sont morts pendant la traversée. Ordinairement, les «pertes» étaient de l'ordre de 15 %
in LA VOIX DU NORD, édition de Dunkerque du 30 juillet 2008

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