vendredi 13 juin 2008

Le témoignage retrouvé d'un adolescent sur la mort du prince de Hesse en 1914


90e ANNIVERSAIRE DE LA FIN DE LA GRANDE GUERRE

Lucien Devos aurait 107 ans aujourd'hui. Il en avait 13 en 1914 quand il a consigné et photographié ce qu'il voyait à Godewaersvelde. Son petit-neveu, Alexandre Prum, a entrepris de publier ce témoignage des débuts de la guerre dans le regard d'un adolescent étonnant.
PAR CHRISTIAN TAFFIN
Né dans une famille aisée (son père avait une briqueterie), Lucien n'est allé que très peu à l'école. «Douze enfants de Godewaersvelde ont attrapé la scarlatine, il était l'un des deux rescapés, explique Alexandre Prum. Sa mère n'a plus voulu qu'il retourne à l'école." Alors, Lucien s'est cultivé lui-même, acquérant vite une étonnante maturité dès l'adolescence.
Le contenu et la précision de son journal tenu entre octobre 1914 et le 1er janvier 1915 en atteste. «À 13 ans, il note au crayon de bois ses impressions sur l'arrivée des premiers Allemands. Les habitants du village croient qu'il s'agit d'Anglais. Ils ferrent leurs chevaux gratuitement et leur donnent à manger.», s'amuse Alexandre. Lucien l'adolescent, lui, a compris tout de suite qu'il s'agit d'ennemis... En quelque cent cinquante pages au crayon de bois, sans rien reprendre ensuite, Lucien consigne tout ce qu'il voit avec précision. Le jour et l'heure sont indiqués, les références des unités militaires aussi.

Son petit-neveu, Alexandre Prum, 26 ans, professeur d'histoire-géographie à Bondues, a recueilli le précieux héritage de son grand-père, Yves Carton. Lucien était le frère de la mère d'Yves Carton.
Dans sa famille, on connaissait les albums de photos de l'oncle Lucien. La chance a voulu qu'Alexandre tombe sur les plaques de verre et négatifs originaux oubliés mais soigneusement rangés dans un coin de la maison de ses grands-parents. Il a scanné mille cinq cents documents couvrant la période de 1914 jusqu'aux années cinquante, le soir tout en corrigeant ses copies. Il a mis en perspective les documents historiques avec les récits du carnet de son grand-oncle, vérifiant dans les livres la véracité des détails militaires qu'il y trouvait.

Il a été bien aidé par la méticulosité de Lucien Devos : «Sur les boîtes renfermant les originaux, dates et lieux étaient notés au crayon de bois, parfois même gravés dans les plaques de verre des négatifs.» Le tout dans un excellent état de conservation après des décennies d'oubli...

Plus précis que l'abbé
Quand Alexandre parle de Lucien, on a l'impression qu'il livre les souvenirs que vient de lui confier un grand frère qu'il admire. Ainsi, sur la mort du prince de Hesse à Godewaersvelde : "J'ai analysé ce qu'il a écrit. J'ai fait beaucoup de recherches dans des ouvrages sur la bataille d'Ypres. J'ai lu les notes de l'abbé du mont des Cats de l'époque. Ils parlent des mêmes dates et des mêmes choses, mais l'abbé a moins développé. Lucien, lui, n'avait que 13 ans !» Et il a donné des précisions sur les blessures du prince de Hesse, neveu de l'empereur allemand, quand il a été mortellement atteint et transporté à l'abbaye du mont des Cats, où il est mort le 12 octobre 1914.
Voici ce qu'a écrit, à l'âge de 13 ans seulement, Lucien Devos, sur l'arrivée des Allemands le 8 octobre 1914.
«- 7 heures du matin, 3 cavaliers armés apparaissent à Godewaersvelde et font ferrer leur chevaux chez Deprez (maréchal ferrant). Ils mangent et boivent, leur tenue grise et leur coiffure les font prendre pour des Anglais. Ils sont bien accueillis et on ne veut pas croire qu'ils sont des hussards prussiens quand on leur dit. Ils partent puis reviennent à quatre et se dirigent vers la place lance au poing puis partent à nouveau.


- 8 heures du matin : 14 Allemands passent le village. Ils étaient armés du sabre, de la lance et de la carabine, coiffés soit d'un casque à pointe, soit d'un kolbach (casquette). C'étaient des hussards et des dragons allemands. Ce n'est qu'à la vue des casques à pointe que les gens connurent leur méprise. Nous, on les avait reconnus de suite à leur tenue grise, ils avaient des bottes jaunes avec des éperons vissés, les dragons avaient le fameux casque à pointe, et les hussards un kolbach. Ces coiffures étaient couvertes de toile.
- Pendant le jour, on entend des coups de feu. Vers 5 heures du soir, ils repassent avec un pauvre dragon français prisonnier qui n'avait plus son casque.»
In La Voix du Nord, édition d'Hazebrouck du 12 juin 2008

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