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Scénario catastrophe pour les wateringues ?
LITTORAL•
L’inquiétude grandit dans le polder où vivent 450 000 habitants. Faute de financements de l’État, le système serait en péril.
Réchauffement climatique annoncé, gel des crédits de l’État, l’inquiétude grandit au pays des wateringues. Efficace, le système de rejet des eaux à la mer pourrait se gripper, faute de moyens financiers suffisants. Les 450 000 habitants du polder conquis sur la mer voilà huit siècles doivent-ils redouter un scénario catastrophe ?
PAR OLIVIER TARTART region@lavoixdunord.fr
Un mauvais film catastrophe : 200 kilomètres carrés noyés sous les eaux, dans le Dunkerquois, l’arrière-pays du Calaisis et le marais audomarois, des dégâts estimés à 150 millions d’euros, des mois avant que le polder ne s’assèche à nouveau. Voilà quel serait le visage du polder de l’Aa demain, si le système d’évacuation des eaux de crues venait à se gripper. Un scénario redouté par l’Institution interdépartementale des wateringues, chargée depuis trois décennies d’empêcher que la mer du Nord ne reprenne un territoire de 1 000 km² chèrement conquis au Moyen Âge. Seulement voilà : la source de financements des services de l’État semble tarie. Pire, ils tardent à verser le million d’euros promis pour financer les investissements entrepris en 2005.
Ce scénario catastrophe serait-il peu plausible ? Nullement, selon les acteurs de terrain. La région semble même avoir été à deux doigts de passer de la théorie à la pratique ces dernières semaines. Pas plus tard que le 8 novembre. Déchaînée, la mer du Nord avait, par exemple, repris ses aises sur la digue à Malo-les-Bains. «Nous avons eu une frayeur a posteriori, avoue Jean Schepman, président de l’Institution interdépartementale. La surcote était de 2,10 m seulement, le coefficient n’était pas énorme (76). Que serait-il arrivé lors d’une marée d’équinoxe ? Et si en plus, notre système de pompage n’était pas efficace ?»
Comment le système complexe des wateringues (d’une capacité totale de pompage de 120 m³ par seconde) peut-il être pris en défaut ?
Parce qu’il est aujourd’hui à un tournant, estime Hervé Poher, vice-président de l’Institution interdépartementale. «On est passé d’un système agricole à un système urbain et industriel, ce qui augmente l’imperméabilisation des sols et la vitesse de ruissellement des eaux.» Si on y ajoute les changements climatiques annoncés et un gel des crédits de l’État, l’ancien maire de Guînes s’avoue peu optimiste : «Le territoire connaîtra d’ici deux-trois ans une catastrophe majeure, comme la Somme l’a vécue. On va se réveiller trop tard. Et là l’argent viendra !»
Dissolution
Si les ministères tardent à s’acquitter de leurs dettes, le préfet Canepa a chargé, début 2006, deux missions de se pencher sur les wateringues. D’étudier la modernisation de leur organisation et de les aider à trouver de nouveaux financements (4,7 ME par an). Car, quel que soit le scénario, la quête de fonds s’annonce compliquée.Les conclusions des missions, rendues publiques voici peu, soulignent la complexité administrative, entre des sections qui ont édifié le réseau de watergangs au Moyen Âge, et une Institution née voici trente ans pour évacuer l’eau collectée vers la mer.
Va-t-on vers la création d’un syndicat mixte ?
Les treize sections du Nord - Pas-de-Calais craignent une dissolution pure et simple. L’Institution, financée par les conseils généraux, rappelle que la mission d’assèchement du polder n’est pas de la compétence des Départements, «mais bien une mission de service public, on en appelle à la solidarité nationale». La question du financement est tout aussi épineuse, tout comme la gestion des portes à la mer (l’écluse Tixier, tête de pont de la lutte contre l’invasion marine, est en mauvais état). Les acteurs du dossier se sont réunis autour de Jean-Régis Borius, sous-préfet de Dunkerque. D’autres rendez-vous sont programmés pour trouver un avenir financier au système des wateringues. Ainsi qu’à son polder de 1 000 km² habité par 450 000 habitants. •
«L’État nous abandonne»
«Lucide et combatif», Jean Schepman préside l’Institution interdépartementale depuis près de dix ans. Il pousse un cri d’alarme.
– Que pensez-vous des deux rapports présentés par le préfet ?
«C’est une contribution de l’État, me dit-on, rien n’est décidé. Bien. Cette étude a pris deux ans. Et pendant ce temps, plus de financements. J’attends un million d’euros promis pour 2005, pour lequel les travaux ont été engagés. Le préfet m’a annoncé un versement de 250 000 E. Pour l’instant, seuls 60 000 E ont été versés. C’est insultant pour le territoire.»
– Pourquoi l’État ne finance-t-il plus l’Institution ?
«La partie fonctionnement (électricité, personnel, siège, etc.) est assurée par les conseils généraux. L’État assurait, jusqu’en 2005, les investissements sur les gros ouvrages d’évacuation à la mer. Le ministère de l’Environnement met l’accent sur le préventif, les zones de retenue d’eau, en amont. Je dis : “Chiche !”. Nos investissements ne correspondraient plus aux prérogatives du ministère de l’Agriculture.
Le secteur agricole n’est plus stratégique pour ce territoire ? Et pourquoi pomper un territoire qu’on abandonne ? Je suis surpris du manque de réactions du syndicalisme agricole. L’Institution continuera tout de même à pomper, mais qu’on nous dise la vérité ! Pourquoi nous aider pendant trente ans à monter un système et nous abandonner alors que ce système, tout le monde le dit, marche bien ?»
– Êtes-vous favorable à la création d’un syndicat mixte ?
«Ce n’est pas ma tâche ! D’autres responsables doivent organiser le territoire. L’Institution continuera son rôle modeste, c’est-à-dire assurer l’évacuation des eaux de crues des wateringues, sans se mêler du fonctionnement des sections. Mais il serait dangereux que les sections perdent leurs prérogatives car les agriculteurs jouent un rôle de service public.»
– Quelles solutions demain ?
«Le conseil général du Nord crée des zones de stockage. On peut aussi monter les digues pour lutter contre les invasions marines. Ou se dire qu’à plus ou moins long terme, la mer montera, et organiser des zones où continuer à vivre et d’autres à abandonner. C’est la solution retenue en 1953 par les Pays-Bas suite aux terribles inondations. Veut-on cela ?»
• O. T.
L’impossible taxation
Comment financer demain l’Institution interdépartementale, retrait de l’État oblige ? En taxant les propriétaires fonciers (particuliers, industries, Départements…) en fonction de l’usage du terrain, répondent les rapporteurs interministériels. Pas évident à mettre en place… Adieu les subsides des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement.
Qui les remplacera ? Selon le rapport interministériel, 4,7 millions d’euros par an sont nécessaires pour pérenniser le système hydraulique. Sans même parler de nouveaux aménagements. Aujourd’hui, les propriétaires fonciers (agriculteurs, communes, conseils généraux pour l’emprise des routes départementales…) payent une taxe d’assèchement à la section dont ils dépendent. «Une somme qui varie aujourd’hui entre 17 et 27 euros annuels par hectare», assurent les rapporteurs.Seulement voilà : un hectare de terre agricole se valorise moins qu’une même surface dévolue à l’habitat, aux commerces ou à l’industrie. L’idée paraît toute simple : pourquoi ne pas taxer plus ceux qui tirent davantage de profits de l’assèchement (collectivités, entreprises, etc.) ?
Le précédent de 1995
Une entreprise similaire avait été envisagée en 1995 par la 4e section du Nord (l’est du Dunkerquois). Face à des difficultés financières, la section avait décidé de taxer chaque habitation à hauteur de 100 francs (15 E). Tollé général. La nouvelle taxe avait alors disparu aussi vite qu’elle avait été décidée.«On était passé de 1 000 contributeurs à 24 000, se souvient André Delattre, président de l’Union des wateringues. Ingérable. Des conventions avaient été alors signées avec les communautés de communes, en ce qui concerne le Nord. Demain, ce système pourrait être étendu au Pas-de-Calais. Et les sections devront sans doute participer pour financer les investissements de l’Institution interdépartementale.»
• O. T.
REPÈRES
Sections de wateringues
Au nombre de 5 dans le Nord et 8 dans le Pas-de-Calais, les sections (chapeautées par l’Union des wateringues) assurent l’entretien du réseau de watergangs, la création et la gestion des ouvrages hydrauliques et des stations de relèvement (1 500 km de fossés et 100 stations de pompage).
Leur budget de fonctionnement est alimenté par une taxe d’assèchement acquittée annuellement par les propriétaires fonciers.
Institution interdépartementale
Elle a vu le jour en 1977, à l’initiative des conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais, des services de l’Agriculture et des Voies navigables.
Sa mission : réaliser des ouvrages d’évacuation des crues. Elle gère aujourd’hui 10 stations de pompage (capacité totale : 120 m³/s) pour faire face aux crues dites décennales.
in LA VOIX DU NORD, édition régionale du 10 janvier 2008
1 commentaire:
Vu comme celà est parti, pour se déplacer en Flandre, il va falloir bientôt ressortir les cartes de Sanderus ou de Malbrancq!
(Voir la carte à cette adresse: http://pix.nofrag.com/3/d/b/f3278aff3c4d4f165282cf4a2ebb8.html )
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