Les Croix des Cités Martyres
de la Revue 'L'Illustration' no. 4009 de 3 janvier 1920
'Les Croix des Cités Martyres'
Les Villes Décorées après la Guerre
Nous assistons, après l'effroyable guerre, à un spectacle biea émouvant encore et qui se lie à tant d'autres spectacles de poignante émotion. Nous voyons des villes décorées comme des soldats et elles sont déjà, ces vaillantes, assez nombreuses pour constituer comme une exceptionnelle compagnie d'honneur.
Dans la seule journée de dimanche dernier, quatre de nos glorieuses grandes blessées, broyées ou incendiées, réduites, en partie, en poussière et en cendres, Béthune, Lens, Arras, Bapaume, ont été solennellement décorées de la Légion d'honneur et de la Croix de guerre par le chef de l'Etat à qui, sur les derniers jours de sa mission constitutionnelle, il doit être particulièrement doux de présider à ces hautes cérémonies de récompense nationale.
Le Journal officiel du 28 décembre a publié les décrets conférant ces distinctions avec les motifs que voici:
Béthune. — Après avoir supporté vaillamment, pendant plusieurs années, de fréquents bombardements, a vu la ruée allemande de 1918 se briser sous ses murs. A payé de sa destruction et de sa ruine la vaillante résistance de ses défenseurs et la fière attitude de son héroïque population. Croix de guerre.
Lens. — Ville glorieuse qui peut être citée comme un modèle d'héroïsme et de foi patriotique. Tombée au pouvoir des Allemands dès les premières heures de l'invasion de 1914, a été pendant quatre ans tour à tour témoin ou enjeu d'une lutte sans merci. Organisée par l'ennemi en formidable redoute de défense, libérée en partie par une offensive alliée, mutilée et écrasée au cours de combats incessants, n'a jamais douté du sort de la patrie. Croix de guerre.
Arras. — Ville fière et vaillante, déjà témoin de luttes nombreuses. Vient d'ajouter de brillantes pages à son passé de gloire. Placée au pivot des opérations offensives et défensives des armées d'Artois, a supporté pendant plus de quatre ans, avec un patriotisme admirable, tous les dangers de la bataille sans précédent qui se déroulait à ses portes. Ruinée, presque anéantie, n'a pas désespéré et, sitôt délivrée, s'est remise au travail avec une admirable ardeur. Croix de guerre.
Bapaume. — Ville vaillante, digne de son glorieux passé. Délivrée au lendemain d'une grande bataille, dont les coups l'avaient frappée durement, est retombée, après une année, aux mains de l'ennemi. Témoin de l'âpre lutte qui, comme en 1871, s'est livrée sous ses murs, a supporté toutes les épreuves avec héroïsme et a contribué à la victoire. Croix de guerre.
Le président de la République, en sa visite aux quatre cités, était accompagné du maréchal Pétain et de plusieurs membres du Parlement. Les cérémonies de remises de décorations aux villes se déroulent selon des rites où se répètent nécessairement les mêmes gestes. Mais le cadre diffère en chaque lieu, où les traditions et les évocations d 'histoire donnent à chacune de ces fêtes sa physionomie personnelle. Ainsi, à Béthune, où M. Poincaré s'est d'abord rendu, on a remarqué, comme aux anciens jours d'avant-guerre dans les solennités locales, l'orphéon des mineurs casqués de cuir et la confrérie des «Charitables» en bicorne de cérémonie. L'estrade officielle, dressée entre les ruines de la Caisse d'épargne et les ruines de l'Hôtel de Ville, faisait face aux ruines du beffroi. Et, là, on entendit le maire convier le président de la République à l'inauguration d'une Béthune ressuscitée, qui sera plus belle encore que celle qui fut détruite par 70.000 obus allemands.
A Lens, où M. Poincaré se rendit ensuite, il n'y a plus une maison. Les quelques milliers d'habitants, revenus se logent dans des baraques qu'il a fallu improviser dans une ruine totale. Ce que souffrit Lens, envahie, occupée, totalement détruite, un livre paru ces jours-ci sous la signature du curé archiprêtre de la ville, M. le chanoine Occre Lens, nous le dit avec une précision tragique. Et le maire de Lens, M. Basly, a évoqué, lui aussi, en cette journée, un martyre qui doit être suivi des plus complètes réparations.
Les ruines d'Arras, comme celles de Lens, ont été maintes fois mises sous les yeux de nos lecteurs par les poignantes photographies que nous en avons publié. Le 33e de ligne, que commanda jadis le maréchal Pétain, rendait les honneurs au cours de la cérémonie de la remise de la double croix des braves à la ville qui eut près de 5.000 maisons détruites ou mutilées et où plus de 200 civils furent victimes du bombardement.
A Bapaume, où l'on évoqua le souvenir de Faidherbe, dont la statue fut enlevée par les Allemands, la cérémonie fut célébrée parmi les décombres. Et le président de la République, après avoir retracé l'agonie glorieuse île la ville anéantie, remercia au nom du pays l'indomptable énergie d 'une population qui a entrepris la tâche gigantesque de relever de telles ruines.
Peu de jours avant, ces cérémonies, la fête des enfants, la Noël, avait été célébrée dans nos pays dévastés comme dans les autres parties, plus heureuses, de la France. Des initiatives charitables avaient organisé des envois de jouets aux enfants, il y eut, grâce à la générosité américaine, un magnifique arbre de Noël dressé devant les vestiges de l'ancien beffroi de Béthune. Et des camions, chargés de multiples gâteries, ont parcouru les villages ruinés de l'ancien front: ces camions avaient été fournis, avec leurs conducteurs et leur essence, par le Comité américain pour les régions dévastées de France; les jouets qu 'ils apportaient à la population enfantine avaient été réunis par les soins de la Ligue des chefs de section et des soldats combattants.
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