14 juin 1658... la Bataille des Dunes
La ligue faite avec Cromwell donna enfin à la France une supériorité plus marquée: d’un côté, l’amiral Blake alla brûler les galions d’Espagne auprès des îles Canaries, et leur fit perdre les seuls trésors avec lesquels la guerre pouvait se soutenir; de l’autre, vingt vaisseaux anglais vinrent bloquer le port de Dunkerque, et six mille vieux soldats, qui avaient fait la révolution d’Angleterre, renforcèrent l’armée de Turenne.
Alors Dunkerque, la plus importante place de la Flandre, fut assiégée par mer et par terre. Condé et don Juan d’Autriche, ayant ramassé toutes leurs forces, se présentèrent pour la secourir. L’Europe avait les yeux sur cet événement. Le cardinal Mazarin mena Louis XIV auprès du théâtre de la guerre sans lui permettre d’y monter, quoiqu’il eût près de vingt ans. Ce prince se tint dans Calais. Ce fut là que Cromwell lui envoya une ambassade fastueuse, à la tête de laquelle était son gendre, le lord Falconbridge. Le roi lui envoya le duc de Créqui et Mancini, duc de Nevers, neveu du cardinal, suivis de deux cents gentilshommes. Mancini présenta au protecteur une lettre du cardinal. Cette lettre est remarquable; Mazarin lui dit « qu’il est affligé de ne pouvoir lui rendre en personne les respects dus au plus grand homme du monde. » C’est ainsi qu’il parlait à l’assassin du gendre de Henri IV, et de l’oncle de Louis XIV, son maître.
Cependant le prince maréchal de Turenne attaqua l’armée d’Espagne, ou plutôt l’armée de Flandre, près des Dunes. Elle était commandée par don Juan d’Autriche, fils de Philippe IV et d’une comédienne(1), et qui devint deux ans après beau-frère de Louis IV. Le prince de Condé était dans cette armée mais il ne commandait pas: ainsi, il ne fut pas difficile à Turenne de vaincre. Les six mille Anglais contribuèrent à la victoire, elle fut complète (14 juin 1658). Les deux princes d’Angleterre, qui furent depuis rois(2), virent leurs malheurs augmentés dans cette journée par l’ascendant de Cromwell.
Le génie du grand Condé ne put rien contre les meilleures troupes de France et d’Angleterre. L’armée espagnole fut détruite. Dunkerque se rendit bientôt après. Le roi accourut avec son ministre pour voir passer la garnison. Le cardinal ne laissa paraître Louis XIV ni comme guerrier ni comme roi; il n’avait point d’argent à distribuer aux soldats; à peine était-il servi: il allait manger chez Mazarin ou chez le maréchal du Turenne quand il était à l’armée. Cet oubli de la dignité royale n’était pas dans Louis XIV l’effet du mépris pour le faste mais celui du dérangement et de ses affaires, et du soin que le cardinal avait de réunir pour soi-même la splendeur et l’autorité.
Louis n’entra dans Dunkerque que pour la rendre au lord Lockhart, ambassadeur du Cromwell. Mazarin essaya si par quelque finesse il pourrait éluder le traité, et ne pas remettre la place: mais Lockhart menaça, et la fermeté anglaise l’emporta sur l’habileté italienne.
Plusieurs personnes ont assuré que le cardinal, qui s’était attribué l’événement d’Arras, voulut engager Turenne à lui céder encore l’honneur de la bataille des Dunes. Du Bec-Crépin, comte du Moret, vint, dit-on, de la part du ministre, proposer au général d’écrire une lettre par laquelle il parût que le cardinal avait arrangé lui-même tout le plan des opérations. Turenne reçut avec mépris ces insinuations, et ne voulut point donner un aveu qui eût produit la honte d’un général d’armée et le ridicule d’un homme d’Église. Mazarin, qui avait eu cette faiblesse, eut celle de rester brouillé jusqu’à sa mort avec Turenne.
Au milieu de ce premier triomphe le roi tomba malade à Calais, et fut plusieurs jours à la mort. Aussitôt tous les courtisans se tournèrent vers son fière Monsieur. Mazarin prodigua les ménagements, les flatteries, et les promesses, au maréchal Du Plessis-Praslin, ancien gouverneur de ce jeune prince, et au comte de Guiche, son favori. Il se forma dans Paris une cabale assez hardie pour écrire à Calais contre le cardinal. Il prit ses mesures pour sortir du royaume, et pour mettre à couvert ses richesses immenses. Un empirique d’Abbeville guérit le roi avec du vin émétique que les médecins de la cour regardaient comme un poison. Ce bonhomme s’asseyait sur le lit du roi, et disait: « Voilà un garçon bien malade, mais il n’en mourra pas. » Dès qu’il fut convalescent, le cardinal exila tous ceux qui avaient cabalé contre lui.
(1) La Calderona.
(2) Charles II et Jacques II.
in Le Siècle de Louis XIV, CHAP. VI. État de la France jusqu’à la mort du cardinal Mazarin en 1661.
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