dimanche 24 décembre 2006

Et si le salut des anti-A24 venait d’Angleterre ?

Deux articles publiés dans un quotidien national britannique mettent en cause le projet de l’A24 : selon le « Daily Express », l’autoroute qui doit relier Amiens à la Belgique vers 2014 pourrait venir perturber le repos éternel des « héros de guerre ». Comme à Aubers, dans les Weppes, où sont enterrés 719 combattants : une majorité de Britanniques, des Canadiens et… un Indien.

PAR ISABELLE ELLENDER lambersart@lavoixdunord.fr
PHOTO MAX ROSEREAU

Le premier article du tabloïd britannique daté du 4 novembre attaque fort, dès le titre : « Une insulte envers nos héros », avec un appel au vote des lecteurs : « Les Français doivent-ils laisser nos héros de guerre reposer en paix ? » Le quotidien populaire récidive deux jours plus tard en titrant cette fois : « Les pilleurs de tombes français ne tiennent pas leurs promesses ». Selon le journaliste Steve Hartley, « le gouvernement français a l’intention de retirer les tombes » qui se situeraient sur le projet de tracé de la future A24, « considérée comme essentielle pour l’économie locale ». Il cite ce que l’on peut lire sur les plaques à l’entrée des cimetières militaires : « La terre sur laquelle a été érigé ce cimetière est un cadeau du peuple français pour le repos perpétuel de ceux qui, au sein des armées alliées, sont tombés pendant la guerre 1914 - 1918 et qui sont honorés ici-même. » Oui, mais voilà, ironise M. Hartley, le gouvernement pense qu’« il lui sera plus facile de gérer l’opposition des proches des défunts que celle des écologistes, des habitants du secteur et des agriculteurs ».Toujours selon le Daily Express (qui n’utilise pas le conditionnel), une douzaine de cimetières du Commonwealth se trouvent sur le tracé qui a la faveur de l’État, dont Warlincourt Halte et le Bac du Sud, tous deux près d’Arras ; certains mémoriaux, comme celui de Richebourg, près de Neuve-Chapelle, seraient visés et la future voie traverserait également de nombreux champs de bataille.


Les travaux pour l’A24 commencés ?
Le journal ne précise pas que les fuseaux du tracé mesurent actuellement 1 km de large et qu’il est donc impossible de déterminer avec précision où la route pourrait passer si elle voit le jour. Le journaliste n’hésite pas à aller jusqu’à dire que les travaux de construction de l’autoroute ont déjà commencé du côté d’Arras, ce qui est faux… Côté anglais, le Royal Sussex Living History Group, alerté par le Daily Express sur le danger que pourrait courir le cimetière britannique du côté d’Aubers, avait réagi dans les mêmes colonnes. Car cinq bataillons du régiment du Royal Sussex sont intervenus dans cette zone à deux reprises. Pour la seule bataille d’Aubers, le 9 mai 1915, les pertes du régiment se montent à 803 hommes (morts, blessés ou portés disparus). John Baines, coordonnateur de ce groupe qui veut « maintenir vivante la mémoire du régiment », s’interrogeait dans l’article sur l’intérêt de cette autoroute, alors qu’au cours de ses voyages sur place, pour des commémorations notamment à Aubers ou Richebourg, il n’avait jamais eu l’impression de rouler sur des routes surchargées.La commission des cimetières rassurée M. Baines se voulait confiant : « Je connais les maires d’Aubers et de Richebourg, je pense que ce sont des personnes honorables, qui n’accepteraient pas un tel projet. » Depuis la publication de ces articles pour le moins alarmistes, le Royal Sussex Living History Group a eu des contacts rassurants avec la commission des cimetières militaires du Commonwealth (CWGC).« Et contrairement à ce qu’affirmait le journal, précise aujourd’hui John Baines à La Voix du Nord, la commission a bien été consultée sur ce projet. » Elle a d’ailleurs publié un communiqué en ce sens : « La commission (…) a reçu, par écrit, l’assurance qu’aucun cimetière ou mémorial du Commonwealth ne sera touché par ce projet. » Et la CWGC, au vu des bonnes relations entretenues par le passé avec les autorités françaises, se dit « convaincue que la France continuera à soutenir le travail de la commission ».Plus de peur que de mal, donc ? « Il reste le problème de certains champs de bataille » qui risquent de voir passer des bulldozers, poursuit John Baines. « Près d’Ypres, on a rencontré ce problème, des restes humains ont été exhumés lors d’un chantier. (...) On préférerait évidemment éviter qu’ils passent sur d’anciens champs de bataille, mais il faut bien que les routes passent quelque part.Alors entre deux maux, s’il faut choisir le moindre, mieux vaut les champs que les cimetières ou les mémoriaux ! À condition que les restes humains soient traités avec dignité. » Les partisans de l’autoroute destinée à alléger l’A1 n’avaient sans doute pas prévu cela : après l’opposition manifestée outre-Quiévrain, outre-Manche, certains ont aussi leur mot à dire… •

LA VOIX DU NORD, édition régionale 24 et 25 décembre 2006

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