mardi 17 octobre 2006

l'ultime protestation

La première fois que j’entendis parler de la grève de la faim, j’étais enfant. Autour de moi, les gens qui s’engageaient pour leurs idées faisaient parfois grève mais arrêter d’avoir faim, jamais… C’était pour un gosse une drôle d’idée…

Le nom me frappa, Bobby Sands, un Irlandais emprisonné. Il m’a fallu une trentaine d’années pour découvrir que le sacrifice tel qu’il était consenti n’avait rien de nouveau. Ainsi, qu’il s’agisse d’un Irlandais membre de l’IRA à la fin des années soixante-dix, de dockers dunkerquois frappés par les conséquences de l’exposition à l’amiante, d’un député pyrénéen ou des expulsés de Cachan, tous avaient pour point commun d’user d’un mode d’action vieux de 15 siècles au moins…


Une assurance sociale avant l’heure
En Irlande, au VIe siècle, les relations sociales se sont fondées sur le système de clientèle. Les sept catégories de nobles doivent être capables de venir en aide aux personnes placées sous leur dépendance. Ainsi, chaque noble doit la « maintenance de la maladie », en quelque sorte une assurance sociale, et l’hospitalité à tout homme libre, malade ou pauvre qui lui en fait la demande. Son épouse « de premier rang », première d’entre ses épouses, doit en faire de même selon les quantités qu’exigent le statut nobiliaire de son époux et de son fils… Ainsi, en théorie, personne ne peut échapper à la solidarité dans la société irlandaise d’avant la christianisation…

Il arrive néanmoins qu’il y ait refus. Si un homme libre appauvri n’obtient ni coucher, ni vivre, ni entretien, il a le droit de creuser sa tombe contre le seuil de la maison du maître et de s’y coucher. Bien entendu, il peut et doit le faire à la vue de tous et de façon, s’il le faut, que le maître soit obligé de l’enjamber à chaque fois.

Et s’il meurt ? Ce ne peut être dans l’indifférence générale car le noble ne peut dire qu’il ne connaissait pas la situation du malheureux. Il doit alors payer l’amende de compensation, conséquente en raison du statut d’homme libre du mort. C’est que le système éprouve du wergeld, le « prix de l’homme », évite d’entrer dans le cycle infernal de la fayde, la vengeance que nous connaissons tous sous le nom de vendetta…


Et aujourd’hui ?
Ce moyen que certains appellent malheureusement chantage a été remis à l’honneur par les Irlandais au XIXe siècle qui protestaient contre les Anglais. Il fut à l’origine de la grève de la faim.

Chantage ? Certes non mais expression du plus profond des désespoirs puisque l’on sait que si la réponse arrive tardivement, les répercussions sur la santé du gréviste seront terribles voire même définitives si le protestataire décède… Bien plus terrible que l’immolation des bonzes vietnamiens dans les années 70 ou la mort de Ian Palach en 1968, la grève de la faim est à chaque fois le signe infamant de la volonté de ne pas régler les problèmes, du refus de prendre l’homme en compte dans ce qu’il a de plus grand, sa dignité et de laisser se dégrader une situation difficile.

Et Bobby Sands ? Margaret Thatcher, alors premier ministre, refusa d’écouter ses requêtes et l’homme décéda dans sa geôle, pesant aussi lourd sur les consciences que les morts de la guerre des Malouines… Depuis aussi, on entend régulièrement parler de cette action en espérant qu’elle ne devienne banale en se banalisant.

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