Les Australiens de Fromelles
Lambis, l'Australien de Fromelles par qui tout est arrivé
À Fromelles, dans les Weppes, les fouilles sont en cours pour retrouver les corps de soldats australiens et britanniques oubliés depuis 1916 sous un champ cultivé (lire ci-dessous). Le cimetière militaire, qui sera inauguré en juillet 2010, pourra accueillir jusqu'à 400 tombes. Rencontre avec Lambis Englezos, l'Australien qui a remué ciel et terre pour «rendre leur dignité» aux combattants.
PAR ISABELLE ELLENDER
L'homme est costaud, gai, bon vivant. «Lambis a un bon coup de fourchette !», reconnaît en souriant Hubert Huchette, le maire de Fromelles chez qui l'Australien a passé six semaines. «Sa femme cuisine très bien», justifie Lambis Englezos, 56 ans, qui affirme... et en français cette fois : «Je suis fromellois.» Pourtant, rien ne prédestinait cet habitant de Melbourne à se sentir un jour chez lui dans ce petit village du bout du monde. Bien sûr, c'est ici, dans la nuit du 19 au 20 juillet 1916 que s'est déroulée la bataille qui a fait plus de 5 500 victimes dans les rangs australiens et britanniques, dont plus de 2 000 morts. Mais Lambis n'a aucun lien avec ces soldats.
Sauf que... «J'ai toujours été intéressé par l'histoire militaire, confie cet ancien prof d'histoire de l'art. J'ai rencontré des vétérans de cette bataille. Un désastre embarrassant pour l'Australie. J'ai parlé avec les survivants... et c'est devenu une affaire personnelle.»
Une conviction
À partir de là, Lambis n'aura de cesse de prouver qu'il reste des corps, oubliés dans le sol fromellois. «Entre les pertes connues et les tombes des soldats, les chiffres ne concordaient pas.» Premier voyage en 2002, suivi de plusieurs autres, dont un séjour de trois mois l'an dernier. Lambis effectue des recherches dans les livres, multiplie les contacts en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Suisse aussi. Jusqu'au moment où il acquiert la conviction qu'ils «reposent» bien là, ces disparus. Au «Pheasant Wood», que personne n'appelait pourtant ainsi à Fromelles. Aujourd'hui, le «bois du Faisan» a son panneau.
Il faut alors convaincre les autorités. Pas facile, d'autant que le silence a longtemps entouré ce sinistre chapitre de l'histoire australienne. Et pour certains, mieux vaut laisser les corps là où ils sont.
Mais Lambis, comme le dit Hubert Huchette, est «passionné et tenace». Avec l'aide de quelques compatriotes, dont Ward Selby, John Fielding ou Tim Whitford, il lui faudra cinq années pour être pris au sérieux.
«J'ai toujours été convaincu de la nécessité de donner une sépulture aux morts. Pour leur dignité. Leur identité aussi, si l'on parvient à leur donner un nom.» Cent vingt familles ont déjà accepté un prélèvement ADN, qui sera réalisé prochainement. «Même si on donnait un nom à un seul soldat, cela vaudrait le coup.»
Un futur guide ?
Les fouilles continuent et, en juillet 2010, le cimetière militaire de Fromelles sera inauguré. L'aboutissement de huit années d'acharnement pour ce bénévole infatigable, qui vient de se voir décerner l'Order of Australia. Bien sûr, il est fier et heureux d'avoir reçu cette médaille. Mais sa motivation est ailleurs : «Je sais pourquoi je le fais. Je le fais pour de bonnes raisons. Pour les soldats.»
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PLUS DE CENT SOIXANTE CORPS SORTIS DE TERRE
Elle tient dans sa main ces petites boîtes avec une émotion non feinte. Et un grand respect. La première contient un petit singe en métal pas beaucoup plus grand qu'une fève d'un gâteau des rois. «C'est un bourre-pipe. Il appartenait à un soldat qui l'avait apporté avec lui dans sa tranchée.» Kate fait partie de l'équipe d'une trentaine de spécialistes britanniques de l'Oxford Archaeology sur le site de Fromelles. Depuis trois mois, au pied du bois du Faisan, les archéologues fouillent sept jours sur sept les fosses communes où reposent depuis 1916 plusieurs centaines de corps de soldats australiens et britanniques tués dans les tranchées allemandes dans la nuit du 19 au 20 juillet.
C'est dans le laboratoire de Kate qu'arrivent tous les objets trouvés dans la terre fromelloise, à quelques dizaines de mètres de là. Une autre partie du laboratoire mis en place dans le petit village des Weppes par les gouvernements britannique et australien, a une tâche plus sensible : étudier et si possible identifier les corps enterrés il y a plus de 90 ans par les troupes allemandes. Interdit de pénétrer dans les lieux. Question de respect dû aux morts.
Si les deux premières fosses explorées se sont révélées vides, dans les quatre autres, les archéologues ont découvert à ce jour 167 corps. Alignés, bien rangés, sur deux niveaux, explique M. Richardson, le chargé du «Fromelles Project» pour la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth. Le travail est minutieux. Les corps sont d'abord photographiés in situ avant d'être exhumés. Débutent alors les mesures anthropométriques... tout ce qui peut permettre leur identification. «Avec l'étude des os, on peut retrouver la trace de certaines maladies», souligne David Richardson. Dans un premier temps une fiche signalétique est établie pour chaque corps. Ensuite, les chercheurs pourront les comparer avec celles des soldats portés disparus. En allant jusqu'à des comparatifs d'ADN. Quelque 230 descendants de soldats disparus se sont déjà manifestés... En juillet 2010, tous les soldats du bois du Faisan auront droit à une sépulture individuelle dans le nouveau cimetière du village. Une opération unique à cette échelle. •
JEAN-CHARLES GATINEAU
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